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LITTÉRATURE.

Le parti de la Ligue, opposé à l’avénement de Henri iv, surpassait dans ses excès toutes les calamités des guerres précédentes. La licence devint même alors si grande, qu’il n’était pas surprenant de voir un grand seigneur faire tuer son ennemi publiquement et en plein jour. Lorsqu’une expédition militaire, dirigée dans un intérêt privé, était sagement conduite, il suffisait de l’entreprendre au nom de la Ligue ou du Roi pour obtenir les plus grands éloges des deux parts.

Quant aux meurtres commis en famille, s’il est permis de se servir de cette expression, on ne s’en souciait pas plus, dit un contemporain, que d’une gerbe de feurre, à moins qu’ils n’eussent été accompagnés de circonstances par trop cruelles. Quelque temps avant la mort du roi, une dame de la cour ayant assassiné un gentilhomme qui avait tenu sur elle des discours malséans, un des mignons de Henri iii lui dit :

— Elle l’a, par dieu, sire, fort joliment dagué !

Par la rigueur de ses exécutions, le comte d’Hérouville, un des plus emportés royalistes de Normandie, maintenait, sous l’obéissance de Henri iv, toute la partie-ouest de cette province qui avoisine la Bretagne. Chef de l’une des plus riches familles de France, il avait considérablement augmenté le revenu de ses nombreuses terres en épousant, sept mois avant la nuit pendant laquelle commence cette histoire, Jeanne de Saint-Savin, jeune demoiselle qui, par un hasard assez commun dans ces temps, où les gens mouraient dru comme mouches, réunit subitement sur sa tête les biens des trois branches opulentes de la maison de Saint-Savin.

Deux mois après, il s’éleva, dans un repas donné au comte et à la comtesse d’Hérouville par la ville de Bayeux, à l’occasion de ce mariage, une discussion qui, à cette époque d’ignorance, fut trouvée mal sonnante et fort saugrenue. Elle était relative à la prétendue légitimité des enfans venant au monde dix mois après la mort du mari, ou sept mois après la première nuit des noces.