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LITTÉRATURE.

térisaient, il lui semblait que son mari allait s’éveiller et fixer sur elle deux yeux gris, dont elle n’avait pas encore pu soutenir la rigueur.

Le front du comte était menaçant, même pendant le sommeil : des sillons multipliés y imprimaient une vague ressemblance avec ces pierres vermiculées dont quelques monumens sont ornés ; et, comme les mousses blanches ou vertes qui pendent aux branches des vieux chênes, ses cheveux, gris avant le temps, l’entouraient sans grâce. L’intolérance religieuse siégeait sur ce front implacable et guerrier. La forme du nez aquilin, les os saillans du visage, la rigidité des rides profondes, le dédain écrit sur la lèvre inférieure, les noirs contours de l’œil, tout indiquait une cruauté presque innée, une ambition d’autant plus à craindre, que l’étroitesse de la tête trahissait un défaut absolu d’esprit. Il était facile de lire une intrépidité native, mais sans générosité, dans ce visage qu’une large balafre avait encore horriblement défiguré. Cette ancienne plaie y formait une couture transversale qui figurait une seconde bouche dans la joue droite.

À l’âge de trente ans, le comte s’était fait un nom dans la malheureuse guerre de religion dont la Saint-Barthélemy fut le signal. Il avait été grièvement blessé au siége de La Rochelle. La malencontre de sa blessure, pour parler le langage du temps, augmenta sa haine contre ceux de la religion ; et, par une disposition morale assez naturelle, il enveloppa les hommes à belles figures dans le sentiment qu’il vouait aux calvinistes. La défiance que lui donna sa laideur le rendit d’une extrême susceptibilité. N’osant jamais croire qu’il pût inspirer grande passion aux femmes, son caractère était devenu sauvage. S’il avait eu des succès en amour, il ne les devait guère qu’à la frayeur inspirée par ses cruautés.

La main gauche, que le terrible catholique avait hors du lit, achevait d’en peindre le caractère. Étendue de manière à garder la comtesse comme un avare garde son trésor, cette main énorme était couverte de poils si nombreux, d’un dé-