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LITTÉRATURE.

nis de d’Elbée, de Bonchamps et de Charette. L’artillerie venait d’arriver ; quinze pièces en batterie trouaient six fois par minute les masses, qui se reformaient aussitôt. Trois charges de cavalerie vendéenne vinrent se heurter et disparaître devant ces gueules de bronze. Cela continua deux heures, Kléber, poussant devant lui Lescure, qui se ralliait toujours, poussé lui-même par les trois autres chefs, poursuivant et poursuivi, soutenant la retraite, lorsqu’une cinquième armée de 10,000 hommes, commandée par Donnissan et Larochejaquelein, vint s’éparpiller sur ses flancs, tirant à bout portant, tuant à tout coup, et jeta enfin la confusion dans les rangs républicains.

« Il était temps que la tête de l’armée, toujours commandée par Kléber, arrivât à la rivière de la Sèvres ; il s’empara du pont, le traversa ; puis, appelant un de ses aides-de-camp, nommé Schouardin : — Faites-vous tuer là avec 200 hommes, lui dit-il. — Oui, mon général, répondit Schouardin. — Il tint parole, et sauva l’armée. »

— Oui, oui, c’est comme cela que tout s’est passé, me dit mon guide, car j’y étais. Voyez-vous, Monsieur ? me dit-il, en ôtant son chapeau, et en me montrant une cicatrice qui lui partageait le front ; j’ai reçu çà ici (et il frappait du pied), ici. C’est un aide-de-camp du général, un jeune homme tout jeune, qui me frappa ; mais avant de tomber, j’eus encore le temps de lui enfoncer ma baïonnette dans le corps, et de lâcher le coup : quand je revins à moi, il était mort, lui. Nous étions tombés l’un sur l’autre. Il y avait des bleus et des Vendéens, qu’on ne savait où mettre le pied ; on a enterré tout ça à l’entour, voilà pourquoi que les arbres poussent si bien, et que l’herbe est si verte.

Cependant je me retournai vers la colonne. Rien n’y constatait le courage de Kléber et la mort de Schouardin, rien que quatre noms vendéens. « Je ne sais à quoi tient, lui dis-je, sans lui faire part des réflexions qui m’amenaient à cela, que je n’envoie une balle au milieu de cette colonne et que je ne la signe Schouardin ou Kléber.