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LE PETIT SOUPER.

rent assez mauvaise compagnie. Elle vint à moi dans l’embrasure d’une croisée où j’avais été me nicher avec intention.

— Dites-moi donc, lui demandai-je en lui désignant par un coup-d’œil interrogatif l’un des inconnus, quelle est cette espèce-là ? Comment avez-vous cela chez vous ?

— C’est un homme charmant !….

— Le voyez-vous à travers le prisme de l’amour, ou me trompé-je ?

— Vous ne vous trompez pas, reprit-elle en riant, il est laid comme une chenille ; mais… il m’a rendu le plus immense service qu’une femme puisse recevoir d’un homme.

Comme je la regardais malicieusement, elle se hâta d’ajouter :

— Il m’a radicalement guérie de ces odieuses rougeurs qui me couperosaient le teint et me faisaient ressembler à une paysanne…

Je haussai les épaules avec humeur.

— C’est un charlatan ! m’écriai-je.

— Non, répondit-elle, c’est le chirurgien des pages. Il a beaucoup d’esprit, je vous jure, et d’ailleurs il écrit. C’est un savant physicien.

— Si son style ressemble à sa figure… repris-je en souriant. — Mais l’autre ?

— Qui ?… l’autre.

— Ce petit monsieur pincé, propret, poupin, et qui a l’air d’avoir bu du verjus.

— Mais c’est un homme bien né, me dit-elle. Il arrive de je ne sais quelle province. Il est chargé de terminer une affaire qui concerne le cardinal, et c’est Son Éminence elle-même qui l’a présenté à M. de Saint-Jame. Ils ont choisi tous deux Saint-Jame pour arbitre. En cela, le provincial n’a pas fait preuve d’esprit ; mais aussi quels sont les gens assez niais pour confier un procès à cet homme-là ? Il est doux comme un mouton et timide comme une fille. Son Éminence l’amadoue, car il s’agit, je crois, de 300,000 livres.