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VOYAGES.

fluence en rien la suite de sa conduite, et ne mérite aucune reconnaissance.

» La servitude a pourtant quelques avantages pour compenser une foule de maux. L’esclave ne connaît jamais cette extrême misère à laquelle est exposée la classe ouvrière de l’Irlande, et quelquefois aussi celle de l’Angleterre ; et, quand la vieillesse arrive, entouré de ses enfans, il est entretenu par la famille où il a passé sa jeunesse ; il ne connaît ni la mendicité ni les maisons de travail : voilà le beau côté de la question. Mais voici une ombre au tableau : souvent le maître est ruiné et ses biens vendus ; le vieil esclave est acheté pour une bagatelle, et condamné à passer le reste de sa vie dans une nouvelle famille, où il trouve peu de pitié pour ses infirmités ; il est entouré de gens indifférens, et n’est point aidé dans son travail par de plus jeunes bras, car ses fils ont trouvé d’autres maîtres. Tous les liens qui l’attachaient à la vie, et qui la lui rendaient douce, sont rompus.

» Lorsqu’il n’est plus sous les yeux de son maître, l’esclave devient une tout autre créature, joyeux en proportion de sa tristesse habituelle. J’ai été plusieurs fois témoin de leurs divertissemens, je m’en amusai surtout un jour. La famille s’était rendue à une église éloignée, et les esclaves, profitant de l’absence de leurs maîtres, se procurèrent un violon, et se mirent à danser dans un hangar. Je les regardais danser, et j’étais enchanté de leurs grotesques attitudes dans les valses et dans les quadrilles, dont les mouvemens gracieux