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VOYAGES.

qui n’auront pas assez ménagé l’eau douce, ou choisi à son gré ce qui doit être consommé à dîner. La volaille maigre doit être immolée et servie la première. Si vous êtes assez heureux pour ne pas souffrir de la plus cruelle des calamités, le mal de mer, toujours serez-vous loin d’être à votre aise ; vous aurez des nausées, votre cœur se soulèvera. Mais cet état de souffrance et d’irritation éprouvera sans doute un notable allégement par l’exquise politesse du capitaine, qui vous offrira quelques tranches de bœuf salé. La nappe qui couvre la table est déjà devenue d’une couleur si sombre, elle est si maculée, que tout contact entre elle et votre couteau, votre cuillère ou votre assiette, vous paraîtra redoutable. Si par hasard vous avez réservé quelque linge pour votre usage particulier, le capitaine vous lancera des regards de mépris comme à un homme indigne de la mer, ou qui voudrait déprécier l’ordre et la propreté qui règnent à son bord. Vous ne serez plus à ses yeux qu’un être perdu de mollesse ou d’affectation. Les vents sont capricieux en cette saison, et passent souvent d’un rumb à l’autre. À peine établis autour de la table pour prendre votre repas, une secousse du vaisseau vous jettera de côté, vous et vos compagnons avec les chaises, le bœuf, la sauce, la soupe aux pois, les plats et les assiettes dans un chaos inextricable ; il faudra dès lors renoncer aux chaises, se cramponner aux bancs, et ramasser quelques débris dans ce nau-