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CORRESPONDANCE ET NOUVELLES.

fixer long-temps les yeux sur le même objet, me permettent d’observer quelques uns de leurs usages et de signaler ceux que je crois nuisibles. J’ai aujourd’hui à en indiquer un qui intéresse essentiellement leur société, puisqu’il se rattache à l’existence des individus.

» Dans toute secte, les législateurs religieux, en jetant les bases de leurs cultes, ont eu constamment en vue de les établir sur la morale et la conservation de la santé. Si c’est là une vérité qu’on ne peut nier, il en résulte que, quelle que soit la religion, tout ce qui tend à détruire ces sages principes, seul appui du droit social, doit être appelé abus de religion et faux culte de la secte qui lui donne accès. L’extirpation de ces abus ne blessant ni directement ni indirectement les bases religieuses, doit être provoquée par tout homme qui en a une fois reconnu les conséquences funestes. Voici entre autres celui que j’ai remarqué parmi les Grecs de cette ville.

» À peine un Grec paraît-il expiré, qu’on le dépouille de ses vêtemens et qu’on le revêt d’une longue chemise à laquelle on donne le nom de savana. Une croix de bois est placée dans sa bouche qu’on ferme avec une bande qui passe dessous le menton et joint au-dessus de l’occiput, de manière à tenir la bouche hermétiquement fermée, afin que les démons ne puissent y entrer ; et c’est pour cela qu’on regarde comme une faute grave de différer d’un seul moment cette opération qu’on nomme savanisi. Si elle n’avait lieu que sur les morts, cette pratique superstitieuse serait sans inconvénient, et ne mériterait pas d’observations sérieuses ; mais comme il arrive qu’on ferme ainsi la bouche à des individus encore vivans, et qu’avec cette fausse charité on jette dans la tombe des hommes qu’un peu de patience et de secours auraient pu rappeler à la vie, et qui auraient été encore utiles à la société, cette piété, que je ne crains pas d’appeler criminelle, doit disparaître devant les conseils de la raison.