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LITTÉRATURE.

duquel les curieux ne distinguaient par intervalle que les lignes cadencées de nos soldats, toutes ces circonstances m’avaient paru si promptes, si soudaines, que mon imagination me les rendait en masse et confusément. J’avais besoin d’être seul pour les élaborer, pour les comprendre. Troublé, interdit, je repris tristement la route de Vienne, péniblement occupé de cette scène si inattendue, dont quelques officiers, blessés comme moi, et placés derrière l’Empereur, avaient pu seuls suivre la rapidité et les premiers détails. Quoi ! me disais-je, la vertu peut commander un crime ! La justice pourrait donc aussi devenir le jouet de nos caprices ! Quel labyrinthe ! Abandonné dès l’âge le plus tendre, élevé dans les camps, comment me diriger ? où trouver un guide sûr ? Chacun me répondra avec son opinion ou suivant son intérêt. N’importe, je sens au fond de moi une répulsion contre une semblable action. Brutus, Clément, Ravaillac, ce Turc qui poignarda Kléber, et tous les fanatiques, me semblent criminels. Ce n’est peut-être que la sensibilité d’un cœur honnête, eh bien ! je bénis ce sentiment, c’est un ami fidèle qui, j’espère, me restera toujours.

Cependant le soleil achevait paisiblement sa carrière : ce sublime témoignage de l’ordre immuable établi par l’Éternel me faisait honte pour l’espèce humaine. Cette calme et grande nature semblait ainsi regarder avec mépris les agitations de pygmées…

Entraînées par ce tableau, mes pensées s’élan-