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VOYAGE DANS LA MER DU SUD.

ploi de charger nos armes, tandis que Martin Bushart et moi faisions feu. Bushart était natif de Prusse ; il avait été tirailleur dans son pays et était fort adroit. Il tua vingt-sept sauvages dans vingt-huit coups, n’en ayant manqué qu’un seul. J’en tuai et blessai aussi quelques-uns quand la nécessité m’y obligea. Nos ennemis, voyant qu’ils ne pouvaient venir à bout de nous sans perdre un grand nombre des leurs, s’éloignèrent en nous menaçant de leur vengeance.

La chair de nos malheureux compagnons étant cuite, on la retira des fours et elle fut partagée entre les différentes tribus qui la dévorèrent avec avidité. De temps en temps les sauvages m’invitaient à descendre et à me laisser tuer avant la fin du jour, afin de leur épargner la peine de me dépecer pendant la nuit. J’étais dévolu pièce par pièce aux différens chefs dont chacun désignait celle qu’il voulait avoir, et qui tous brandissaient leurs armes en se glorifiant du nombre d’hommes blancs qu’ils avaient tués dans cette journée.

En réponse à leurs affreux discours, je déclarai que si j’étais tué, leurs compatriotes détenus à bord le seraient aussi ; mais que, si j’avais la vie sauve, ils l’auraient également. Ces barbares répliquèrent : « Le capitaine Robson peut tuer et manger les nôtres, s’il lui plaît. Nous vous tuerons et nous vous mangerons tous trois. Quand il fera sombre, vous ne verrez plus clair pour nous ajuster, et vous n’aurez bientôt plus de poudre. »

Voyant qu’il ne nous restait plus d’espoir sur la terre, mes compagnons et moi tournâmes nos re-