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LE LASSO.

Son air sombre et hautain avait une expression qui ne lui était pas ordinaire ; il s’y peignait un embarras mêlé de honte et de colère, et son front pâle d’habitude était dans ce moment rouge comme la baie de l’arbousier. — Avez-vous fait bonne chasse, cho padrone[1] ? lui demanda Tonino. Mais cette question n’était adressée que pour arriver à une autre — Avez-vous vu Anna Maria ? l’avez-vous vue ? répéta-t-il, étonné de ne pas obtenir de réponse. — Non, répondit l’autre d’une voix brève et en évitant de rencontrer le regard pénétrant du jeune homme ; puis il ajouta avec plus d’assurance : — J’ai fait bonne chasse, mais le gibier m’a échappé, je saurai le retrouver ; bonne chance à ton tour, Tonino. Et il allait se remettre en route, mais tout à coup il s’arrêta, tira de son juste-au-corps une bourse et un collier avec une croix de corail : — Tiens, dit-il, la bourse est pour toi, et voilà le présent de noces que je destinais à ta fiancée ; tu te chargeras de le lui faire accepter. Tonino enchanté allait se confondre en remercîmens, lorsqu’en rencontrant le regard de son patron, il lui sembla y lire quelque chose qui le dispensait de la reconnaissance : c’était un mélange confus et inexplicable de dédain et d’ironie amère. Celui-ci, faisant de la main un geste d’adieu et d’impatience, se remit rapidement en marche et disparut dans la forêt…

Tonino ne l’avait pas bien compris, mais une émotion secrète lui disait que tout cela ne présageait rien de bon. Il appela encore Anna Maria ; le chien cette fois vint à lui, et le cœur de Tonino recommença à battre. — Eh bien ! Genoese[2], dit-il au chien qui le caressait, ne peux-tu pas m’apprendre où est ta maîtresse ? L’intelligent animal conduisit Tonino vers un sentier plus éloigné, et s’arrêta à l’entrée comme pour lui dire : C’est là. Le jeune homme s’élança sur la trace

  1. Cho pour signore.
  2. Génois, les Corses donnaient ce nom à leurs chiens.