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VARIÉTÉS.

qu’il va verser que les vrais croyans ont à laver les souillures de leur front. »

Il plonge alors le poignard dans la gorge de son jeune enfant[1], et jette le cadavre au milieu du peuple saisi d’horreur et d’enthousiasme. « Prenez, leur crie-t-il, voilà le sang de mon fils ; » et, cachant sa tête sous ses pagnes, il tombe prosterné vers l’Orient, et passe, dans cette attitude, le reste du jour en prières.

Cet affreux dévoûment rallume au plus haut degré la ferveur religieuse des partisans de cet homme étrange, et grossit la foule de ses prosélytes. L’émyr al-moumenyn Yousef, bien que vainqueur naguère, n’ose plus se fier uniquement à la fortune des armes ; vainement il tente de le faire périr par trahison, ou de le décrier auprès des Fellâns ; enfin, il emploie la dernière voie qui lui reste : il cite le Mahdy à comparaître devant le conseil suprême des Imâms.

Le terme de cette citation solennelle devait échoir aux premiers mois de la présente année.

Cependant la ville de Podor, plus éclairée des lumières de la civilisation, à raison de l’ancien contact de ses habitans avec les Français de la compagnie d’Afrique, n’avait point suivi le torrent. Une famille puissante, celle du chef Mokhtâr Bouba, récemment décédé, était à la tête de l’opposition. L’un des fils de Mokhtâr, lié d’intérêts avec Ahhmédo, scheykh de la tribu maure de Berâknah, était le gardien d’un riche dépôt de marchandises appartenant à celui-ci. La vengeance et la cupidité avaient dû tenter doublement Mohhammed ben A’mar ; aussi

  1. Le jour de ce sacrifice a dû être précisément le 10e du mois de Dzou-l’hhagah, répondant au 25 juin 1828, jour de l’Ayd-Kébyr ou grande fête des musulmans, qui lui donnent aussi le nom de Ayd al-Adhha ou fête des victimes ; à pareil jour, les fidèles égorgent un mouton et se marquent au front du sang de la victime.