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ESPAGNE.

cas réservé au grand pénitencier. Elle ne voulut pas avoir de conférence particulière, et nous dit que ses péchés étaient de la nature de ceux qui se commettaient le plus fréquemment ; mais que s’en étant confessée, comme notre sainte mère l’Église le prescrivait, elle prétendait recevoir l’absolution et communier. Le proviseur l’engagea à s’adresser à un autre prêtre ; ce fut en vain : elle menaça de faire un scandale public, et d’ameuter la populace devant le couvent des Augustins : « Je forcerai, nous dit-elle, ce juif de moine à m’absoudre. » Le proviseur l’invita à se retirer, et à revenir dans deux heures, lui promettant d’envoyer chercher le religieux. Elle sortit en effet, et le moine augustin fut appelé. Il vint sur-le-champ ; mais la femme, qui le guettait, monta avec lui, et voulut à toute force être présente à son entretien avec le proviseur. J’étais resté jusque-là par curiosité ; je me levai pour laisser vider la querelle hors de ma présence, mais cette femme me retint, et répéta sa plainte. Le religieux répondit qu’en effet il lui avait refusé l’absolution, espérant que la privation d’un acte religieux, qu’elle paraissait désirer vivement, l’engagerait à rompre un commerce criminel, auquel elle lui promettait depuis deux ans de renoncer. Le proviseur blâma fortement le religieux, et lui dit qu’après que la pénitente avait accompli le précepte et promis à Dieu, entre ses mains, de s’amender, il n’avait pas le droit de refuser de l’absoudre. J’étais dans le plus grand étonnement ; et quand le religieux et cette femme furent sortis, je le témoignai au proviseur, qui se contenta de me répondre : « Voilà comme on comprend la religion au-delà des Pyrénées. » — « Je ne m’étonne plus, dis-je, si j’ai si souvent entendu répéter en Espagne : Faire l’amour et voler par nécessité, ce n’est point pécher. »

C’est à cette pratique facile de la religion qu’il convient d’attribuer, en grande partie, l’influence du clergé, sur le peuple