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UN DÎNER PUBLIC EN ANGLETERRE.

couleurs de l’île natale, et, sur un des boutons de son habit, on voyait gravés la harpe irlandaise et ces mots : « association catholique. » C’était là notre uniforme aux jours où nous combattions pour la liberté de nos consciences, et il est bon de montrer que, si besoin était, nous saurions le reprendre. « Vous avez beaucoup fait pour notre religion et notre patrie, dis-je à O’Connell ; mais il vous reste encore davantage à faire. » Le futur membre du parlement ne désavoua pas mes paroles.

On annonce que le dîner est servi ; nous suivons notre chairman dans la salle du festin. Plus de deux cents convives l’y attendaient ; ils se lèvent, et accueillent son entrée par de vifs applaudissemens. Avant de s’asseoir, O’Connell fait le signe de la croix, et, de l’air du plus pieux recueillement, il dit à voix basse le Benedicite. Nous en faisons tous autant, ou du moins paraissons le faire ; car Dieu seul peut savoir si tous les soutiens du catholicisme dans ce pays ont une foi bien vive et bien pure. J’eus la bonne fortune de me trouver placé non loin de Lawless, le fameux agitateur de l’Irlande. Une figure pâle et expressive, des lèvres qui se resserrent rapidement, des sourcils proéminens, des yeux étincelans de joie quand on chante un air irlandais, tout annonce un être nerveux et passionné. Le discours que nous fit Lawless dans la soirée était long et décousu, mais il y brillait quelques éclairs d’éloquence. Si l’honnête Jack Lawless n’est pas de force à faire un chef de parti, il peut très-bien commander une avant-garde. Enfin la nappe est enlevée, on a chanté les grâces : le God save se fait entendre, et l’assemblée répète en chœur le refrain de l’air sublime Rule Britannia. Le chairman porte les toasts d’usage, et nous buvons la santé du roi, en répétant trois fois un triple cri de hurrah. Dans l’intervalle, les enfans des écoles catholiques, habillés des couleurs chéries de l’émeraude de l’Océan, comme disent nos poètes, avaient défilé devant nous et s’étaient rangés au fond de la salle ; des dames étaient venues occuper une tribune réservée pour elles.