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la religion, tandis qu’à l’origine, personne n’avait accès au christianisme sans avoir été bien instruit de sa doctrine et sans avoir renoncé au monde. C’est qu’alors la distinction s’imposait entre le « siècle » et l’Église, tandis qu’aujourd’hui l’Église a admis le siècle dans son sein en accordant le baptême aux enfants. L’institution du baptême des enfants, ajoute Pascal, a été faite à bonne intention : on craignait de priver du salut les enfants qui mouraient non baptisés, mais ce qu’on a fait pour le bien des enfants a tourné à « la perte des adultes ! »

La rupture de Pascal avec l’Église n’a pas été amenée par la divergence constatée sur ce seul point. Comme nous l’avons vu déjà, il a eu pour s’insurger contre l’autorité de l’Église des raisons tirées non seulement de la pratique de l’Église, mais encore de ses dogmes ; il s’est agi également de l’établissement des faits. D’accord avec ses amis jansénistes, Pascal affirmait que les propositions incriminées et condamnées par le pape comme hérétiques n’étaient pas dans l’ouvrage de Jansénius intitulé Augustinus, et il refusait au pape le droit d’ériger en fait acquis un point expressément vérifiable par tout le monde. A une occasion antérieure, il avait déjà, dans son Mémoire sur le Vide, repoussé l’ingérence de l’autorité religieuse dans les problèmes des sciences expérimentales. Et dans sa 18°Provinciale il expose que si l’opinion de Galilée sur le mouvement de la terre est une erreur, ce n’est pas un décret du pape qui le démontrera, et qu’au cas où il est possible de prouver que c’est la terre qui tourne, elle entraîne dans son mouvement ceux qui le nient comme ceux qui l’admettent. Pascal n’était pas copernicien, mais il touche ici à une matière fort délicate qui avait fait condamner au feu Giordano Bruno et rendu parjure Galilée. Un même souffle rebelle à l’autorité religieuse fait la liaison secrète entre le Pascal physicien et le Pascal des Pensées. Il va jusqu’à dire que « le pape hait et craint les savants qui ne lui sont pas soumis par vœu » [comme le sont les religieux et les prêtres] (fr. 873, Br.). La remarque visait la condamnation par le pape de la doctrine augustinienne de la grâce efficace et de l’absolue dépendance de la volonté humaine de par rapport à la volonté de Dieu, après que Jansénius, en la reprenant, avait accentué l’opposition à la théologie scolastique et jésuite. Le pape lui-même ne serait donc pas orthodoxe, et son autorité n’est pas plus infaillible en matière de foi que lorsque les faits sont en cause. C’est que le Pape doit veiller à tant d’affaires qu’il n’a pas le temps de s’occuper des choses de la foi