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tants pour sa thèse ni les moins solides. Mais que prouvent-ils ? que les souvenirs sont plus encombrants, les concepts plus imagés chez les primitifs que chez nous : il ne suit pas de là qu’il y ait une différence essentielle entre les deux types de mentalité. Au contraire, la distinction serait radicale entre leurs fonctions d’acquisition et leurs fonctions de liaison : les primitifs ne perçoivent rien comme nous, car il se mêle à leurs sensations des éléments mystiques; ils, ne jugent ni ne raisonnent comme nous, car ils sont indifférents à la contradiction.

Attachons-nous à l’examen de ces deux propositions.

Les primitifs ne perçoivent rien — ou presque rien — comme nous. Pourquoi? C’est, dit iM. Lévy-Bruhl, parce qu’ils saisissent, en même temps que les données sensibles, qui sont les mêmes pour eux que pour nous, des propriétés qui nous demeurent mystérieuses : leur perception est « mystique ». Elle s’oriente dans une direction inverse de la nôtre : tandis que la nôtre s’intéresse surtout aux carac- tères objectifs des phénomènes, tend à se dépouiller de tout élé- ment subjectif et surtout de tout élément affectif, celle des primitifs, incapable de faire ces distinctions, accorde une égale objectivité à tout ce qui lui est donné. Or, ce qui lui est donné vient de deux sources : l’organisme individuel et le milieu social. Les sens du primitif sont les mêmes que les nôtres, et son organisme lui fournit des sensations semblables aux nôtres. Mais toutes différentes des nôtres sont les représentations — idées ou émotions — qui viennent de son milieu : en s’intégrant à ses sensations, ces représentations collectives lui imposent la vision de mainte vertu qui nous parait occulte.

En toute espèce de perception, il est possible de découvrir ce caractère mystique. Les animaux, aux yeux des primitifs, paraissent doués de puissances mystérieuses : la preuve, c’est qu’ils sont l’objet d’un culte, même dans les sociétés où le totem est inconnu. Des cultes analogues prouvent que les mêmes vertus sont perçues dans les plantes, dans des objets inanimés, voire dans des objets artificiels. La nature entière est pour le primitif un océan de forces magiques.

Et c’est la perception immédiate qui la représente comme telle ; de ce que nous avons distingué l’apport de l’organisme et l’apport