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que porte une table somptueuse, ce n’est pas tout cela qui engendre la vie heureuse; mais c’est un entendement sobre et sain, capable de trouver en toute circonstance de justes raisons de choix et d’aversion, et c’est l’exclusion des opinions fausses d’où provient en majeure partie le trouble qui saisit les âmes. Or, le principe de tout cela et par conséquent le plus grand des biens, c’est la prudence. Il faut donc la mettre au-dessus de la philosophie même, puisqu’elle est faite pour être la source de toutes les vertus, en nous enseignant qu’il n’y a pas moyen de vivre heureusement si l’on ne vit avec prudence, honnêteté et justice, et qu’il est impossible de vivre avec prudence, honnêteté et justice si l’on ne vit agréablement. Les vertus en effet, ne sont que des suites naturelles et nécessaires de la vie agréable et, à son tour, la vie agréable ne saurait se réaliser en elle-même et à part des vertus. Et maintenant y a-t-il quelqu’un que tu mettes au-dessus du sage ? Il s’est fait sur les dieux des opinions pieuses ; il est constamment sans crainte en face de la mort ; il a su comprendre quel est la fin de la nature ; il s’est rendu compte que ce souverain bien est facile à atteindre et à réaliser dans son intégrité, qu’en revanche le mal le plus extrême est étroitement limité quant à la durée ou quant à l’intensité ; il se moque de la fatalité, dont certains font la maîtresse absolue des choses; il dit plutôt que parmi les événements, les uns relèvent de la nécessité, d’autres de la fortune, les autres enfin de notre propre pouvoir, attendu que la nécessité n’est pas susceptible qu’on lui impute une responsabilité, que la fortune est quelque chose d’instable et d’insaisissable, tandis que notre pouvoir propre, soustrait à toute domination étrangère, est proprement ce à quoi s’adressent le blâme et son contraire — et certes mieux vaudrait s’incliner devant toutes les opinions mythiques sur les dieux que de se faire les esclaves de la fatalité des physiciens, car la mythologie nous promet que les dieux se laisseront fléchir par les honneurs qui leur seront rendus, tandis que la fatalité, dans son cours nécessaire, est inflexible —; il n’admet pas, avec la croyance populaire, que la fortune soit une divinité — car un dieu ne fait jamais d’actes sans règles — ni qu’elle soit, étant essentiellement inconsistante, une cause réelle et substantielle — il ne croit pas, en effet, que la fortune distribue aux hommes le bien et le mal, suffisant ainsi à faire leur bonheur et leur malheur, il croit seulement qu’elle leur fournit l’occasion et les éléments de grands biens et de grands maux — enfin il pense qu’il vaut mieux échouer par mau-