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lorsque, après avoir longtemps supporté les douleurs, il doit résulter de là pour nous un plaisir qui les surpasse. Tout plaisir, pris en lui-même et dans sa nature propre, est donc un bien, et cependant tout plaisir n’est pas à rechercher ; pareillement, toute douleur est un mal, et pourtant toute douleur n’est pas faite pour être évitée. Cela n’empêche pas, bien entendu, que chaque plaisir et chaque douleur doive être apprécié par une mesure où le plaisir sert d’unité et par une comparaison des avantages et des inconvénients à attendre, c’est-à-dire encore par un recours au plaisir. Car le plaisir est toujours le bien, et la douleur le mal, seulement il y a des cas où nous traitons le bien comme un mal, et le mal, à son tour, comme un bien. C’est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là jouissent le plus vivement de l’opulence qui ont le moins besoin d’elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, et ce qui ne répond pas à un désir naturel, malaisé à se procurer. En effet, des saveurs un peu trop simples, quand on est habitué à une table opulente et que tout désir produit par le besoin a une fois disparu[1], causent autant de déplaisir que le besoin même; et, d’autre part, du gros pain et de l’eau procurent le plus vif plaisir à celui qui les porte à sa bouche après en avoir senti la privation. L’habitude d’une nourriture simple et non celle d’une nourriture luxueuse, convient donc pour donner la pleine santé, pour laisser à l’homme toute liberté de se consacrer aux devoirs nécessaires de la vie, pour nous disposer à mieux goûter les repas luxueux, lorsque nous les faisons après des intervalles de vie frugale, enfin pour nous mettre en état de ne pas craindre la mauvaise fortune. Lors donc que nous disons que le plaisir est la fin de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs de l’homme déréglé, ni de ceux qui consistent dans les jouissances, ainsi que l’écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l’âme, à être sans trouble. Car ce n’est pas une suite ininterrompue de jours passés à boire et à manger, ce n’est pas la jouissance des jeunes garçons et des femmes, ce n’est pas la saveur des poissons et des autres mets

  1. άπαξ. p. 63, l. 22. Voir Usener, préf. p. xxi