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L’Avenir de la science est dogmatique ; il apporte une affirmation décisive, un dénoument au drame qui se déroulait alors dans la conscience du siècle, et qui s’était joué, avec un intérêt plus pressant et plus pathétique encore, dans la conscience de l’auteur lui-même. Que doit-il advenir de l’humanité, qui a perdu tout à la fois et les croyances absolues d’autrefois, et les naïves illusions des âges précédents ? La foi antique est ébranlée, la foi nouvelle n’est pas affermie. L’homme sait qu’il ne peut rien connaître qu’en suivant sa raison, mais il sait aussi que cette raison est encore ignorante et exclusive ; il voit qu’il ne peut jamais agir qu’en suivant sa nature, mais il voit aussi que cette nature actuellement n’est pas bonne. La science pénétrant dans l’âme qui s’est vouée à Dieu, renversant tout ce qui n’est pas elle, tout ce qui contredit à sa méthode et à ses principes, n’a guéri cette âme ni de l’angoisse morale ni de la crainte religieuse ; elle ne sera pas souveraine, tant qu’elle ne satisfera pas à cette faculté d’amour et d’adoration qui confère à l’homme son humanité. Or peut-on espérer que la science y satisfasse jamais ?

C’est à cette question que répond l’Avenir de la science.

Le livre commence par un chant de triomphe : la liberté de l’esprit est conquise. L’esprit est libre, c’est-à-dire qu’il est uniquement un instrument pour la recherche de la vérité, que la vérité n’est pas faite pour servir le monde, mais le monde fait pour servir la vérité. La vérité est une fin en soi : proposition toute simple d’apparence, mais qui n’a pas encore été appliquée. Jamais l’homme ne s’est placé en face d’une solution dans un état d’indépendance totale et de complète impartialité, se demandant à lui-même non pas quel intérêt il peut avoir à ce que cette solution soit vraie, mais par quel procédé il lui est possible de s’assurer qu’elle l’est. Du jour où l’esprit renonce à cette prévention qui s’effraye des conséquences d’un principe, pour seulement en peser la certitude, où il analyse ses propres lois pour y trouver la marque distinctive de propositions susceptibles d’être déterminées avec précision et indéfiniment vérifiées, du jour où, en un mot, la science est constituée, la raison humaine est fondée : voilà la grande découverte des temps modernes. Exister, c’est être éternel : la raison humaine n’existait pas, tant qu’elle était réduite aux efforts, toujours impuissants, de penseurs toujours isolés qui devaient, chacun pour leur compte, et depuis le principe, reprendre incessamment le problème universel. Est-ce qu’on peut ajouter une philosophie à une philosophie, une religion à une religion ? Le progrès ne se fait ici, s’il est possible, que par voie de substitution, et au prix de crises successives qui remettent en question jusqu’à l’existence même de la philosophie et de la religion. La connaissance scientifique est inébranlable : l’avenir pourra l’étendre, il ne pourra ni en altérer le caractère, ni en modifier la certitude. Les vérités actuelles font partie de la vérité future. La somme peut croître indéfiniment, mais chaque partie de cette somme y entre à titre définitif, avec son signe et sa quantité déterminés. Le progrès scientifique est une addition constante de vérités homogènes. Il est donc vrai de dire que l’avènement de la science prépare l’avènement de la raison ; la science est l’instrument de la liberté intellectuelle.