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élément linéaire, c’est-à-dire par la distance de deux points infiniment voisins, on détermine par là même les lignes géodésiques (les plus courtes) de cet espace ; et si l’on prolonge en lignes géodésiques les éléments linéaires issus d’un point donné et contenus dans un élément superficiel donné, on obtient une surface déterminée qui a en ce point une courbure déterminée. C’est ce que Riemann appelle la courbure de l’espace considéré en ce point et pour cet élément superficiel. On conçoit que cette courbure puisse être la même pour tous les éléments superficiels en tous les points d’un espace à n dimensions ; on dit alors que cet espace lui-même a une courbure constante. L’espace dont la courbure est constamment nulle, étant analogue au plan, sera dit homaloïde ; les espaces à courbure constante, positive ou négative, seront analogues respectivement à la sphère et à la pseudosphère ; et de même qu’il y a une infinité de sphères de courbure différente, caractérisées par la longueur de leur rayon, chaque espace anomaloïde sera défini par un certain paramètre, qu’on appelle son rayon de courbure. L’espace homaloïde, ou euclidien, correspond à une valeur particulière de ce paramètre ; il est intermédiaire entre les espaces à courbure constante positive, auxquels s’applique la géométrie de Riemann, et les espaces à courbure constante négative, auxquels s’applique celle de Lowatchewski. Les uns et les autres jouissent, comme l’espace euclidien, de cette propriété, qu’une figure peut s’y déplacer sans déformation ; de même qu’une portion de surface peut glisser sans déformation sur le plan ou la sphère, et qu’un segment linéaire peut glisser sans déformation le long d’une droite ou d’un cercle. Mais, outre ces espaces à courbure constante, on peut concevoir des espaces à courbure variable (en leurs différents points), analogues aux surfaces à courbure variable, et manquant, comme elles, de la propriété que nous venons d’énoncer. C’est ainsi, pour reprendre un exemple de M. Calinon[1], qu’on ne peut appliquer sur le gros bout d’un œuf un fragment de la surface du petit bout « sans déchirure ni duplicature », et par suite on ne peut transporter sans déformation une figure quelconque sur une surface ovoïde. De même, dans un espace à courbure variable, ou bien une figure sera invariable et ne pourra s’y mouvoir, ou bien elle s’y déplacera, mais en se déformant. Sans doute, pour pouvoir construire et comparer entre eux ces divers espaces à trois dimensions, il faudrait disposer d’un espace à quatre dimensions, mais il suffit qu’on puisse concevoir ce dernier. Or rien n’empêche de le concevoir, car l’idée d’un espace à quatre dimensions n’est pas plus contradictoire que celle d’un espace à trois dimensions ; tout ce qu’on en peut dire, c’est que nous n’en avons pas l’intuition, et cela ne suffit pas pour qu’une telle considération soit absurde. Que notre intuition soit empirique ou a priori, il n’en est pas moins vrai que le nombre des dimensions de l’espace s’impose à notre esprit à la manière d’un fait donné, et qu’il n’y a pas de raison pour que ce nombre soit 3 plutôt que 2 ou 4[2]. Bien mieux : quel que fût

    philosophique, t. III, p. 553 sqq., où l’on trouvera des explications plus étendues avec la figure des surfaces pseudosphériques.

  1. Revue philosophique, octobre 1891 : les Espaces géométriques.
  2. Nous parlons ici au point de vue strictement logique, sans méconnaître la