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2o Il me reproche aussi mon éclectisme. Il en parle avec un grand dédain. Qu’entend-il par là ? À mes yeux, Platon (sa doctrine) n’est pas toute d’une pièce. Il y a chez lui des éléments divers qu’il est très difficile de concilier. J’ai cherché, autant que possible, à le faire. Quand je ne l’ai pu, je me suis abstenu. Il faut, dit-il, que dans un système, tout se tienne, ou ce n’est plus un système. Je suis de son avis ; mais, en fait, je ne connais pas un seul système, ni ancien ni moderne, qui ait cette homogénéité parfaite. Je le regrette pour Platon. Je n’ai pas cru, pour cela, exclure de sa philosophie les vues grandes et fécondes, les immortelles vérités qu’elle contient. Cela fait-il tort à mon œuvre ? J’en appelle à d’autres juges. Pour moi, j’aime mieux ce Platon inconséquent, même un peu christianisé, que le Platon sceptique ou demi-sceptique de la nouvelle Académie, ou que le Platon panthéiste, hégélien ou semi-hégélien que l’on propose. En tout cas, je crois avoir suivi la vraie méthode historique. Celle qu’on appelle ici scientifique (puisque c’est le mot) ne l’est pas ; car elle fausse la vérité historique. Mais ce que mon critique ne voit pas, c’est qu’il est lui-même, à sa façon, éclectique. Il l’est puisque sa méthode choisit, retranche, exclut, etc., seulement on ne voit pas trop ce qu’elle maintient et conserve. C’est, dit-il, « de l’idéalisme critique ». Quel est cet idéalisme ? On se garde bien de le définir. En attendant on fait de la science et de la critique idéaliste.

3o L’auteur de l’article trouve que j’ai mal fait d’adopter la division banale en Dialectique, Physique et Éthique, qui n’est pas de Platon, mais de son disciple Xénocrate. Je le sais et je l’ai dit (p. 84). J’ai dit aussi pourquoi néanmoins je la suis : 1o c’est qu’elle est dans l’esprit de la philosophie platonicienne ; 2o c’est qu’il n’en est pas d’autre qui ne soit arbitraire, aussi tous les historiens l’adoptent et la suivent (Zeller, etc.). Tout est dans tout dans Platon. Encore faut-il un ordre quelconque. Aime-t-on mieux la division, non moins banale, mais plus vague, du vrai, du bien et du beau, qui n’est pas plus dans Platon et qui est loin de remédier à la confusion ? Quand on critique ainsi, il faut au moins indiquer quelque chose à mettre à la place.

4o Je n’ai pas bien compris la Physique de Platon, ni apprécié sa valeur scientifique. On prend soin de m’indiquer ici les points principaux que j’aurais dû surtout approfondir. J’avoue que je m’en tiens à croire que la Physique de Platon est la plus faible et la plus incertaine partie de son système. Elle présente d’ailleurs des difficultés d’interprétation que j’ai laissé aux savants à résoudre. Cela n’entrait pas dans mon dessein. Pourquoi me faire un grief de ce que je n’ai pu ni voulu entreprendre ? Mon livre s’adresse à un public éclairé, non aux savants qui ont intérêt à connaître Platon dans cette partie de ses œuvres et qui sont compétents pour la juger (V. Préface). Mon critique s’y essaie volontiers et montre sa compétence. Je l’en félicite et l’engage à continuer.

5o La partie de mon livre que j’ai eu le plus à cœur de développer est celle où j’expose la philosophie pratique (l’Éthique) de Platon et qui contient : la Morale, la Politique, l’Éducation, l’Esthétique et la Rhétorique. Mon critique veut bien m’accorder que j’y suis « exact ». C’est déjà beaucoup. Il y aurait même lieu, peut-être, dit-il, à me louer, mais il aime mieux m’indiquer mes défauts. Ce qui le choque avant tout, c’est que j’appelle Platon le plus grand des moralistes anciens et que je mette Aristote au-dessous de lui comme moraliste.

Je sais qu’aujourd’hui il est assez de mode de préférer en tout Aristote à Platon ; je sais que l’eudémonisme d’Aristote, moins hautement prisé et même critiqué, autrefois, est maintenant relevé, réhabilité, préconisé, à condition, il est vrai, d’être transformé et cela de deux côtés : 1o comme étant une morale esthétique, un peu mystique, dont le point culminant est l’amour, un amour, il est vrai, tout platonique ; 2o d’autre part le néothomisme cherche à accorder la morale d’Aristote avec le dogme chrétien. Je ne veux entrer dans aucune discussion à ce sujet. Que l’on admette la morale esthétique ou thomiste d’Aristote, ou qu’on s’en tienne à l’endémonisme ordinaire, peu m’importe. Il me suffit que j’aie été exact au moins dans cette partie de mon livre. C’est mon ambition.

Veuillez agréer l’assurance de ma considération tout à fait distinguée.

Ch. Bénard,
ancien professeur de Philosophie.



Coulommiers. — Imp. Paul BRODARD