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traites, telles que la totalité, la pluralité, le nombre, etc. Il est impossible de penser un fait, sans par là même le soumettre à quelque relation : et ces « lois » d’association empirique des images, par lesquelles la psychologie anglaise a essayé d’expliquer comment naissait l’idée de causalité, ne sont encore que des relations, des « êtres de réflexion » : similarité, c’est identité d’un genre ou d’une loi dans une pluralité d’individus, ou de cas divers ; — contiguïté, c’est une relation ou de temps, ou d’espace. Bref, si d’un fait, d’une chose déterminée, on supprime toute espèce de relation, il reste le pur fait empirique, dont c’est par un miracle logique seulement que l’on pourrait tirer la causalité.

On peut prendre un autre parti, définir le rapport de causalité comme une relation intelligible, une loi saisie par la pensée, loi dont une formule algébrique serait la meilleure expression. Mais ce serait s’abuser, croyons-nous, que de prendre une loi scientifique, pour identique à un rapport de cause à effet. La cause de l’explosion d’une poudrière, c’est la négligence d’un ouvrier, c’est l’ignorance d’un enfant, c’est toujours l’acte très déterminé d’un être individuel, acte dont l’heure et le lieu peuvent être assignés. La loi de cette explosion, ce sont les propriétés physico-chimiques de la matière explosible, prise abstraitement, propriétés qui restent vraies, en dehors de toute considération de temps ou de lieu. Chercher la cause d’un effet c’est, un être réel étant donné, chercher un autre être tel que son existence ait été la condition déterminante soit de l’apparition, soit de telle ou telle modification, du premier ; mais les deux êtres en question sont des êtres concrets que la réflexion peut indéfiniment décomposer en attributs abstraits, qu’elle peut concevoir comme constitués, en quelque sorte, par la superposition d’un nombre infini de propriétés, — bref, qu’elle ne peut jamais atteindre. Étudier des lois, au contraire, c’est arrêter à un point conventionnellement choisi, le travail indéfini de la réflexion, et considérer un être que l’on suppose, pour les commodités de l’étude, comme constitué par un nombre fini de propriétés, par une définition. Sans doute la recherche des causes prépare à la connaissance des lois ; et réciproquement, la connaissance des lois augmente notre expérience des causes. Néanmoins, l’idée de causalité doit être conçue comme constituée par l’implication de deux termes, qui sont les deux limites de la science et que la science ne peut identifier : intuition empirique et réflexion logique. Le mathématicien spécule sur des lois, par exemi)le, mais pour cette raison même, il ignore les causes. Inversement, pour l’historien il y a des causes, mais aussi il n’y a pas de lois. C’est que le mathématicien étudie des fonctions saisies par la réflexion logique, l’historien, des successions données dans l’intuition empirique. Une liaison algébrique de fonctions est une loi qui domine la réalité, en ce sens qu’elle exprime une infinité d’expériences possibles. Mais on ne peut dire, sans trahir la signification mathématique du mot, que la mort d’Antoine soit fonction de la chute de la République romaine ; car la mort d’Antoine et la chute de la République sont des termes concrets, une cause et un effet, et qui, conçus comme tels, sont conçus comme des faits contingents, c’est-à-dire comme ayant eu lieu sur un point de l’espace, et non ailleurs, comme s’étant produits une fois