Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la série, comme limite nécessaire et distincte de la série — encore qu’on suppose ce terme inconcevable, — est peut-être une comparaison plutôt littéraire, malgré l’analogie trompeuse des mathématiques. Nous pouvons passer à la limite, quand un nombre nous est préalablement donné, comme différant à peine de la série qui y tend. Mais la série même en tant que telle n’emporte pas la nécessité d’un terme. Ce n’est donc pas autre chose que j’affirme en prenant conscience de la nature de la vérité ; je ne dépasse pas d’une ligne mon affirmation même. La conscience intellectuelle est sans doute vérité éternelle, comme disait l’ancienne métaphysique ; mais vérité éternelle ne veut pas dire : qui participe d’une autre existence, mais qui vaut pour un moment quelconque du temps.

Toutes les hypothèses qui dépasseraient ce premier fait nous semblent donc, encore une fois, oiseuses et contradictoires. Je connais Dieu comme vérité ou plutôt comme forme de la vérité. Je ne puis le détacher en quelque sorte de ma conscience intellectuelle et transformer en chose ou notion éternelle, ou en une conscience distincte de la nôtre ou unie à elle par je ne sais quel lien mystique ce que nous connaissons seulement comme forme inséparable de notre affirmation. Oui vraiment, cet exposant : éternel que notre conscience porte toujours avec elle est aussi certain que notre conscience même, mais nous ne savons ce qu’il est en dehors de notre affirmation : nous ne pouvons même nous poser une telle question contradictoire à sa nature. Kant l’a admirablement vu, et c’est là la signification de sa critique de l’argument ontologique ; je n’ai pas, et ne puis avoir, par la nature de la certitude première, de conception positive, positivement déterminable d’un autre être qui serait Dieu. Il n’y a de vérités absolues que les vérités formelles. Il est donc bien vrai que la conscience intellectuelle présuppose une existence, si l’on entend par là cette objectivité inséparable de l’affirmation. Mais cette existence n’est pas autre que la conscience intellectuelle. Elle est cette conscience même accompagnée de ce coefficient d’éternité que toute vérité emporte avec elle, à plus forte raison les vérités idéales, et parmi elles la certitude pratique qui les fonde.

De même j’admets que les autres consciences et les autres êtres ne dérivent pas de ma pensée ; ou plutôt je n’ai pas à me poser une telle question qui n’a pas de sens, puisque je n’ai aucune idée d’une telle efficacité. Je ne m’explique même pas et ne puis déduire de ma pensée les formes étendues sous lesquelles les choses m’apparaissent.