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enlèvent, il nous semble, tout doute sur sa pensée : « … Il est plus logique d’admettre que le sujet pensant et voulant a un mode d’action qui se confond avec le mode d’action fondamental de l’objet pensé, et que les idées sont les réalités mêmes arrivées, dans le cerveau, à un état de conscience plus élevé. C’est pour cela qu’elles sont des forces. La volonté, répandue partout dans l’univers, n’a besoin que de se réfléchir progressivement sur soi et, par cela même, d’acquérir une plus grande intensité de conscience pour devenir en nous sentiment et pensée[1]. »

Or, si l’on admet le monisme ainsi interprété, si nous ne sommes que des sortes de foyers dans lesquels les choses « s’élèvent au rang d’idées », par une intensification de la sourde conscience qui est leur essence, ou, comme il le dit ailleurs, « des concentrations relatives de la sensibilité universelle[2] », il suit que nous trouvons dans l’état de conscience spontanée l’immédiation du réel et du senti ou du pensé, le réel se confondant, s’identifiant absolument avec nous. Il n’y a plus alors de distinction entre le senti et le sentant, entre le connu et le connaissant et nous saisissons enfin le réel tel qu’il est, ou plutôt — car le mot de saisir est encore un terme de l’ancienne théorie dualiste, ennemie éternelle de la connaissance, — il faut dire que nous sommes devenus le réel, non tel qu’il était avant notre acte de connaissance, mais tel qu’il est au moment actuel, dans et par nous. Vérité ne se distingue plus de réalité, elle est la réalité parvenue à un degré supérieur et sans doute au degré ultime qu’elle peut atteindre au stade actuel de l’évolution. Il n’y a plus deux mondes : l’un de choses, l’autre, qui lui serait parallèle, de copies, de portraits ressemblants : il n’y en a qu’un, le monde des réalités qui seulement arrive, quand il occupe notre conscience, à un degré supérieur d’une existence toujours essentiellement la même.

L’hypothèse du monadisme, au contraire, ruine la connaissance, parce que, au fond, il laisse toujours subsister une séparation absolue entre le pensant et le pensé. Si les choses sont des monades fermées, elles restent aussi étrangères à l’esprit qui veut les connaître que la matière comme telle dans l’hypothèse dualiste : plus de coïncidence possible entre la pensée et ses objets, plus de vraie appréhension de la réalité. Seul, le monisme idéaliste n’aboutit pas à nous refuser la connaissance de l’objectif : il la fait se confondre avec la nôtre et avec le déroulement spontané de notre existence consciente. En résumé, il y a illusion dans le sens et le caractère que l’on attribue à l’observation interne, à la réflexion, il y a illusion à croire que l’état de conscience n’a pas, comme révélation du réel, sa fin en soi, mais représente autre chose que lui-même, à croire que son rapport à un objet, donné par la réflexion, lui confère une portée objective et le fait en quelque sorte se dépasser lui-même, et, en un mot, à distinguer la réalité et la vérité : elles n’ont qu’une même et indivisible existence. Et toute pensée ne comporte vérité qu’en tant que précisément elle ne prétend pas nous représenter la vérité sur tel ou tel objet.

  1. II, 211. Voir aussi t. I, p. xvii, 4 et 359.
  2. II, 66.