Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/605

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

provoquée par la perception et principe de tous les instincts, il devient enfin volition proprement dite quand l’acte a lieu sous l’influence de jugements et de raisonnements. Quelle est la nature de la volition ? Elle est le désir déterminant d’une fin et de ses moyens, conçus comme dépendants d’un premier moyen qui est ce désir même et d’une dernière fin qui est la satisfaction de ce désir (II, 266). Si l’on considère surtout la part de la pensée dans la volition, on peut y distinguer trois moments : la réflexion, la délibération pendant laquelle et par laquelle certains motifs peuvent acquérir une force plus grande, et la décision, jugement déterminant le désir et par suite l’action. Cette détermination du désir par le jugement est due à l’élément à la fois sensitif, actif et moteur inhérent, nous l’avons vu, à tous les jugements, même à ceux qui semblent le plus purement intellectuels. Mais si le jugement comporte ainsi une efficacité réelle, le vouloir qu’il enveloppe n’en fait pas, comme on l’a soutenu, une création du libre arbitre, ne suppose nullement une efficacité supérieure au déterminisme.

Mais la volition n’est pas déterminée par un motif ou un mobile isolé : l’ensemble même des motifs et mobiles conscients n’en renferme pas l’explication adéquate. Il faut y ajouter les impulsions inconscientes, l’état actuel de la cœnesthésie, les dispositions cérébrales et nerveuses, enfin et surtout le caractère, car le moi tout entier, malgré l’apparence, conditionne la volition. La volonté est une synthèse de tous ces éléments psychiques et physiques. Quelque compliquée, délicate et inanalysable que soit dans la plupart des cas cette synthèse, elle n’en reste pas moins pour M. Fouillée, qui combat vivement les partisans modernes du libre arbitre, Lotze, Boutroux, Delbœuf, Renouvier, W. James, Bergson, toujours soumise au déterminisme : seulement il est ici plus complexe et « plus flexible » et, en outre, comme nous allons le voir, l’objet d’une réaction qu’exerce sur lui la notion de la liberté.

Ce n’est pas comme indétermination, comme exception à la causalité, que doit se définir la liberté. Elle est « le maximum de puissance indépendante et consciente attribuable au moi dans la poursuite de ses fins. » En d’autres termes, elle est la causalité intelligente du moi (II, 291). Le déterminisme étant la loi universelle du monde psychologique autant que du monde mécanique, qu’est-ce qui produit en nous l’apparence du libre arbitre ? La réponse de Spinoza : l’ignorance des causes, est incomplète. Il faut à la fois ignorance et connaissance : connaissance que nous voulons en vertu de raisons internes partiellement connues, parmi lesquelles se trouve l’idée même de notre moi comme indépendant ; ignorance du total des causes, au nombre desquelles il faut compter notre nature psychique elle-même dont nous ne pouvons donner de raison, incapacité où nous sommes de calculer « la totalité des actions exercées par les motifs et mobiles sur notre caractère ainsi que la totalité des réactions exercées par notre caractère même sur les motifs et mobiles ; il en résulte que l’idée de notre indépendance, partiellement réalisée par le fait même qu’elle est conçue et désirée, nous produit l’effet d’une indépendance complète ». Mais notre pouvoir de choisir n’est jamais absolu ; il est toujours le pouvoir d’être déterminé par un jugement et un sentiment de préférence (II, 299).