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sa réaction sur les impressions extérieures ». Sa direction est déterminée par l’appétition. Elle a eu dans l’évolution un pouvoir de sélection sur les idées, en diminuant la force des représentations dont elle se détourne, en rendant la perception plus facile et la sensibilité plus fine, et en donnant une durée plus grande à certains états de conscience qui deviennent ainsi des centres d’attraction et d’action.

2. Le jugement. — Les différentes théories logiques du jugement ont le tort commun de considérer l’esprit comme commençant par des idées définies et sans lien qu’on nomme conceptions : celles-ci sont, au contraire, le résumé et le substitut de jugements et de raisonnements antérieurs. Le jugement est la première démarche de l’intelligence et il est d’abord tout pratique. Il est la réaction de la conscience à l’égard des sensations : c’est l’aperception soit de leur existence, soit de leur nouveauté ou de leur ancienneté, soit de leur qualité, soit de leur intensité, soit de leurs relations avec d’autres sensations (p. 320). Cette réaction, de nature appétitive, renforce l’association, déjà donnée avec les sensations mêmes, entre les représentations ou entre telle représentation et telle action et lui confère une existence distincte dans la conscience : c’est le premier élément de l’affirmation. Le second, qui la complète, est la croyance à cette affirmation, l’objectivité prêtée à cette association et par là au jugement. Or la croyance est la résultante, à la fois passive et active, d’un conflit de représentations dont chacune tend à une action conforme (p. 322) : une affirmation crue est une affirmation que l’on commence à réaliser et c’est l’action appétitive et motrice inhérente à toute représentation, avec l’étendue des mouvements corrélatifs, qui détermine la portée objective du jugement

3. La généralisation. — Elle a pour condition la mobilité de la pensée, c’est-à-dire sa tendance à se mouvoir toujours d’une représentation à l’autre, surtout si elles sont semblables. La conscience de cette mobilité, se produisant à l’occasion d’une image particulière qui tend à évoquer une pluralité d’images semblables moins vives, nous fait accorder à l’image une généralité virtuelle. Une image commune et un nom commun sont donc des représentations particulières à forme dynamique et motrice. Ainsi la généralité n’est pas dans la matière de la pensée, mais dans sa forme, c’est-à-dire dans le pouvoir d’action et de mouvement dont j’ai conscience comme dépassant l’objet particulier sur lequel j’agis (p. 340).

4. Le raisonnement. — L’induction scientifique n’est qu’un développement de l’inférence appétitive du particulier au particulier basée sur la perception de ressemblance : son caractère propre est la conception de l’avenir comme semblable au passé. Cette tendance à projeter dans le futur les similitudes observées dans le passé n’est qu’un prolongement naturel de ces similitudes, rendu possible par l’absence de dissimilitude constatée : cette continuation elle-même se réduit à la persistance du mouvement, de l’action commencée. Telle est l’induction primitive et spontanée. L’induction réfléchie, se rendant compte de son processus, se voit obéissant à une nécessité logique qui se formule, une fois la non-influence du temps reconnue : les mêmes données ont les mêmes conséquences. Ce principe lui-même n’est qu’une application des axiomes d’identité et de raison suffi-