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grain au milieu du blé ; mais il sera presque impossible de le retrouver, de sorte que le phénomène semblera en quelque sorte irréversible. Cela tient à ce que les grains sont petits et nombreux ; l’irréversibilité apparente des phénomènes naturels tiendrait de même à ce que les molécules sont trop petites et trop nombreuses pour la grossièreté de nos sens.

Pour mieux le faire comprendre, Maxwell introduit la fiction d’un « démon » dont les yeux seraient assez subtils pour distinguer les molécules, les mains assez petites et assez rapides pour les saisir. Pour un pareil démon, si l’on en croit les mécanistes, il n’y aurait pas de difficulté à faire passer de la chaleur d’un corps froid à un corps chaud.

C’est du développement de cette idée qu’est née la théorie cinétique des gaz qui est jusqu’ici la tentative la plus sérieuse de conciliation entre le mécanisme et l’expérience.

Toutes les difficultés ne sont pas vaincues cependant.

Un théorème facile à établir nous apprend qu’un monde limité soumis aux seules lois de la mécanique, repassera toujours par un état très voisin de son état initial. Au contraire, d’après les lois expérimentales admises (si on leur attribue une valeur absolue et qu’on veuille en pousser les conséquences jusqu’au bout), l’univers tend vers un certain état final dont il ne pourra plus sortir. Dans cet état final, qui sera une sorte de mort, tous les corps seront en repos et à la même température.

Je ne sais si l’on a remarqué que les théories cinétiques anglaises peuvent se tirer de cette contradiction ? Le monde, d’après elles, tend d’abord vers un état où il restera longtemps sans changement apparent ; et cela est conforme à l’expérience ; mais il ne s’y maintiendra pas toujours, de sorte que le théorème cité plus haut n’est pas violé ; il y demeurera seulement pendant un temps énorme, d’autant plus long que les molécules seront plus nombreuses. Cet état ne sera donc pas la mort définitive de l’univers, mais une sorte de sommeil, d’où il se réveillera après des millions de millions de siècles.

À ce compte, pour voir la chaleur passer d’un corps froid à un corps chaud, il ne serait plus nécessaire d’avoir la vue fine, la présence d’esprit, l’intelligence et l’adresse du démon de Maxwell, il suffirait d’un peu de patience.

On voudrait pouvoir s’arrêter à cette étape et espérer qu’un jour le