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concrète aussi large que possible, et à des explications empiriques analogues à celles que suggère la vie. Les psychologues physiologistes se sont, au contraire, jetés dans une explication physiologique, dont sur bien des points il a fallu rabattre[1]. On nous demandera ce que la psychologie plus concrète et plus souple que nous appelons de nos vœux, prétend découvrir. Ce qui la caractérisera précisément c’est de n’avoir pas cette prétention. Le psychologue, suivant l’excellent conseil de M. Ribot, doit observer plus que raisonner et son œuvre est surtout de dégager ces vérités que chacun retrouve « en faisant réflexion sur soi-même » ou d’analyser l’expérience. Savoir renoncer à la précision est la marque d’un esprit précis. C’est pourquoi nous avons dit ailleurs qu’une psychologie vraiment positive sera nécessairement et en partie littéraire. La psychologie ainsi entendue pourra rejoindre la vie, la régler peut-être et la guider.

M. Ribot nous semble d’ailleurs lui-même avoir senti la nécessité d’une modification de ce genre ; il constate que le point de vue « synthétique » est nécessaire en psychologie, et l’étude même qu’il nous donne sur les caractères semble indiquer une orientation nouvelle de ses travaux. Mais il ne nous semble pas avoir indiqué exactement la différence qui sépare la psychologie abstraite de la psychologie concrète. La première étudierait, d’après lui, les lois, les genres, les espèces, le général ; la seconde les faits, les événements, les individus, le particulier. La différence n’est pas là : la psychologie abstraite n’a pas étudié de genres, ni d’espèces ; et la preuve en est que M. Ribot dans une étude de psychologie concrète commence par déterminer des genres et des espèces. La différence consiste en ce que la psychologie abstraite des physiologistes a considéré les faits psychologiques comme des faits analogues aux faits physiques ou chimiques, réductibles à des éléments simples dont la combinaison expliquerait la constitution des données plus complexes. Ou plutôt encore la psychologie physiologique a procédé comme le pathologiste qui laisserait là la clinique pour aborder immédiatement et hâtivement l’explication anatomo-pathologique ; tandis que, dans bien des maladies encore, la clinique est le seul procédé fécond. Le psychologue, lui aussi, doit s’en tenir pour la plupart des cas à la clinique, et aux explications pratiques qu’elle suggère. La description et l’explication concrète de la réalité psychique prise comme un tout et non pas décomposée en éléments psychiques ou organiques le plus souvent hypothétiques est la méthode la plus solide. La psychologie et l’éthologie ne se confondraient pas pour cela ; mais elles différeraient l’une de l’autre non comme l’anatomo-pathologie de la clinique, mais comme un traité de médecine générale de la clinique[2].

  1. Voir Binet, Altérations de la personnalité, p. 70.
  2. Au lieu de chercher, par exemple, une théorie générale de l’association des idées, on étudiera les modes les plus généraux d’association ; ce qui est très différent. Il ne s’agira pas d’expliquer toutes les associations par des rapports purement mécaniques de causalité, comme font les empiriques, ou par des rapports de finalité, comme fait M. Paulhan, mais d’observer les cas où un sentiment détermine les associations, les cas au contraire où les phénomènes conscients semblent se comporter comme des atomes psychiques en relations mécani-