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sans être un besoin, que chez d’autres parfois elle est un don, et à peine un plaisir ? Il est, en effet, remarquable qu’une aptitude naturelle et en particulier l’intelligence ne s’accompagne pas toujours d’un besoin. Platon observait déjà dans le Philèbe que les plaisirs de l’intelligence étaient des plaisirs positifs, pour ainsi dire de luxe. À vrai dire, une classification généraie ne peut développer toutes ces nuances : mais elle peut les laisser entrevoir par certaines atténuations ou échappées de la pensée.

Nous présenterions à propos des volontaires des observations analogues.

Il nous semble nécessaire pratiquement de distinguer, parmi les actifs ceux chez lesquels le sentiment se transforme immédiatement en action, et parmi les intellectuels ceux mêmes dont les idées sont surtout sentiments et besoins — et ceux dont l’action ne prolonge pas, pour ainsi dire, linéairement le sentiment, ou dont les idées ne sont pas simplement des forces, mais qui possèdent un pouvoir de synthèse intellectuelle. La volonté ou le moi, c’est l’intelligence « auto-motrice », non point telle ou telle idée, mais la puissance de penser, d’unifier, se déterminant elle-même. Pour faire comprendre cette distinction on ne peut que faire appel à la conscience de ces deux états : tous nous avons été à certains moments la proie de nos sentiments, de nos idées même, tous, à des moments rares d’ailleurs, nous avons fait entrer nos idées dans l’unité d’une intelligence maîtresse d’elle-même, ou imposé à nos sentiments nos principes d’action. Cette synthèse intellectuelle ou unité de la puissance de penser règle nos désirs en vue de l’action : on l’appelle alors volonté ; ou elle règle nos désirs en vue de la pensée même : on l’appelle alors l’attention. Elle peut être totale ou restreinte généralisée ou systématisée. C’est là d’ailleurs une simple description, et peu importe la théorie métaphysique qui expliquera cette synthèse : nous énonçons simplement deux états de conscience.

Est-il sûr maintenant que l’efficacité de cette synthèse intellectuelle, de cette puissance de penser dépende toujours de la nature donnée de l’individu. Par exemple, le tempérament apathique serait-il la condition nécessaire d’une telle efficacité, comme veut M. Ribot ? Ne semble-t-il pas y avoir parfois par rapport à l’ensemble de notre caractère, comme des crises de la raison ? On peut se demander sans doute si ces crises ne seraient pas apparentes et préparées dans l’inconscient. Peut-être ; mais en vérité il semble qu’il y ait parfois entre le passé et l’avenir une rupture si violente, si brusque et en même temps si intérieure que tout se passe pratiquement comme si nous étions libres. Pratiquement, les actes libres sont des crises de la raison. Et à vrai dire, ces crises sont plus fréquentes qu’il ne semble car il n’y a pas de désir sans contentement ; ni d’idée d’où l’attention soit totalement absente : et le moi ne rompt pas seulement la chaîne de nos états de conscience, mais donne sans cesse comme le coup de pouce nécessaire pour transformer en désirs de simples velléités, en pensées réelles quelques vagues idées flottant à fleur de tête.