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nature ; mais il en est de même pour toute espèce de pensée. Un plan rationnel, une fois conçu par un artisan, est une pensée vraie, et cette pensée demeure vraie, n’eût-elle jamais été exécutée, dût-elle ne l’être jamais. Par contre, si quelqu’un affirme que Pierre existe, sans savoir pourtant que Pierre existe, sa pensée, relativement à lui, est fausse ou, si l’on aime mieux, elle n’est pas vraie, quoique Pierre existe en réalité ; car cette proposition : Pierre existe, n’est vraie que par rapport à celui qui sait de source certaine que Pierre existe (I, 23).

Ainsi déterminée, la notion d’une synthèse continue concilie l’identité établie par Spinoza entre l’intelligence et la vérité avec l’existence de l’erreur qui en semblait la négation. Elle permet de comprendre comment il arrive que l’homme se trompe, et comment ce fait s’explique par le mouvement ou le repos de l’intelligence et non par l’état du monde extérieur, comment, si je puis dire, à l’intérieur de l’esprit l’erreur se vérifie en tant qu’erreur et se transforme par là en vérité, comment enfin la pensée se développe sans sortir d’elle-même. Il ne faut donc point regarder la synthèse, telle que Spinoza l’a conçue, comme un procédé que l’esprit emploie pour atteindre la vérité, comme un moyen en vue d’un but ; la synthèse est la vérité elle-même, et ses différents moments constituent autant de vérités distinctes. En un mot la synthèse spinoziste est une synthèse concrète. Elle va de l’être à l’être, sans souffrir jamais que dans la série des êtres réels des abstractions ou des universaux soient intercalés. Un axiome universel en effet ne constitue aucun de ces êtres en particulier ; il n’y a rien de fécond en lui, il se livre tout entier sans rien engendrer de vivant ; un principe abstrait est un principe mort. Rattacher une essence réelle à un axiome universel, comme au véritable principe de la déduction, c’est donc interrompre le progrès de l’intelligence (I, 33), c’est substituer à l’ordre réel qui est dans les êtres (I, 30) un ordre factice qui n’existe que dans l’esprit. La nature concrète est alors confondue avec de simples abstractions (I, 25) ; la pensée est séparée de l’être, et le système des essences objectives cesse de correspondre au système des essences formelles. La meilleure conclusion, au contraire, c’est celle qui se tire d’une essence particulière affirmative (I, 31), d’autant meilleure que l’essence étant plus particulière est susceptible d’être conçue plus clairement et plus distinctement. Une telle essence étant naturellement vivante, active et efficace, puisqu’elle est