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tent en reconnaissant qu’ils ne savent rien, si bien qu’ils doivent finir par se taire, de peur de se laisser aller à quelque supposition qui ait quelque ombre de vérité (I, 15). Ce sont des muets qu’il faut traiter en muets. Par rapport du moins à leurs opinions spéculatives (car il est vrai que dans le commerce de la vie et de la société la nécessité les a forcés d’admettre leur propre existence, de rechercher leur bien, et de faire beaucoup de serments qui affirment ou qui nient), ils ont renoncé à l’usage de l’esprit : si l’on fait devant eux une démonstration, ils ne sauront pas juger si l’argumentation est probante ou non, ils ne savent s’ils la repoussent, ou s’ils l’admettent, ou s’ils lui en opposent une autre : ce sont des machines, absolument dépourvues d’esprit (I, 15). Ainsi douter de la vérité, c’est ne pas avoir conscience de soi-même, neque seipsos sentiunt (I, 15). Le sceptique isole l’un de l’autre le jugement qui est l’énonciation d’une vérité, et l’acte d’intellection qui constitue cette vérité ; il déracine la vérité de l’esprit ; il est bien vrai alors que le produit, considéré en dehors de ses conditions de production, a perdu sa vertu interne, qu’il est devenu indifférent aux formes de l’affirmation et de la négation et qu’il est également susceptible de les recevoir. Donc si l’erreur existe — et sa possibilité théorique suffit à en révéler l’existence, — elle provient non pas de l’exercice de l’intelligence, mais au contraire de la faculté que nous avons de nous dispenser de l’exercer pour imiter du dehors les résultats de son activité ; elle a ses sources dans notre inertie et notre passivité ; elle est extérieure à l’intelligence. L’erreur n’a donc pas de réalité en soi, car elle serait vérité, et non erreur, elle n’existe pas, pourrait-on dire, en tant qu’erreur, mais seulement en tant qu’elle s’accompagne d’un acte déterminé d’intelligence, et alors, dans la mesure même où s’est accompli cet effort intellectuel, elle est, et elle est une vérité ; en dehors de cette vérité qu’elle enveloppe, tout en paraissant la détruire, il n’y a rien de positif en elle (I, 23). Si l’homme se trompe, ce n’est donc point parce qu’il connaît quelque chose, mais parce qu’il ne connaît pas ce qui est au delà, parce qu’il ignore même qu’il y ait un au-delà.

La vérité est l’être ; l’erreur est le non-être par rapport à la vérité, ou plutôt elle est tout à la fois l’être et le non-être, parce qu’elle est tout ensemble possession et privation de la connaissance. Cette contradiction intime qui constitue l’erreur, comment disparaitra-t-elle ? Par le progrès même de la connaissance ; en effet l’erreur se