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II

Nous avons dit que, tout en défendant, comme M. Évellin, la thèse du mouvement discontinu, nous nous séparions de lui sur un point important, l’existence d’un minimum de distance et de temps, minimum sur lequel s’appuie M. Noël pour établir que la flèche et le stade constituent une réfutation du mouvement discontinu.

M. Evellin signale avec raison comme un des préjugés les plus répandus « celui qui nous porte à croire que tout composé est formé d’éléments qui lui ressemblent[1] », et nous sommes pleinement d’accord avec lui pour soutenir que les éléments de la matière ne sont pas étendus. Mais où nous nous séparons de lui, c’est quand il enseigne qu’il existe un lieu en soi ou lieu réel composé d’éléments indivisibles et inétendus, ainsi qu’un temps en soi ou temps réel, formé d’instants absolus, affranchis de la durée. Pour nous, l’espace et le temps sont des relations pures, à l’égard desquelles on ne saurait parler d’un minimum absolu et qui, du moment qu’elles existent, jouissent de toutes leurs propriétés, divisibilité comprise. Pour bien faire saisir notre pensée, nous rappellerons une thèse[2] que nous avons soutenue, dans la Revue philosophique, au sujet du temps, parce que, même pour ceux qui refuseraient de l’accepter, elle peut servir à mettre en évidence un ordre général de considérations, compatible avec d’autres théories particulières.

Cherchant quelle est la nature de la relation temporelle, nous avons émis l’hypothèse qu’elle pourrait n’être que celle de cause occasionnelle à effet. S’il en est ainsi, on voit d’abord que le temps suppose deux termes intemporels et naît de leur relation, qu’il n’a pas de mesure proprement dite, mais qu’on peut seulement compter les phénomènes reliés par le rapport causal, et qu’enfin, point capital, on peut toujours supposer un autre enchaînement connexe tel que, à deux phénomènes immédiatement consécutifs dans la première série, réponde un groupe multiple reliant deux phénomènes simultanés aux deux premiers.

Quelle que soit la valeur de notre hypothèse, il nous semble qu’elle a cet avantage de faire voir comment il peut exister des conceptions du temps et aussi de l’espace qui leur conservent le caractère de continus mathématiques, tout en proscrivant l’existence de phénomènes en nombre infini. Ce caractère de continuité résulte en effet de ce que, pour le temps par exemple, entre deux phénomènes quelconques, on peut toujours admettre l’insertion d’un nombre de phénomènes aussi grand qu’on voudra, en sorte qu’il n’existe aucune limite de cette divisibilité théorique ; mais, comme, en fait, il ne peut exister qu’un nombre de phénomènes fini, la division réelle est par là même limitée.

Cette conception de l’espace et du temps permet d’écarter immédia-

  1. Infini et Quantité, p. 15.
  2. Le Temps, sa Nature et sa Mesure, mars 1892.