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ment, qu’il soit initial ou final, n’est pas de la nature du devenir. Il la nie, et, malgré tout, le devenir le suppose. C’est ce que prouve, dans le domaine du mouvement, le plus simple énoncé d’un fait. On dit, par exemple, que tel mobile parcourt un mètre à la seconde. Traduisons : à tel instant, en tel lieu, va prendre fin un progrès, va s’achever un devenir. Mais s’il est de la nature du devenir de se refuser à toute détermination exacte, s’il est entendu qu’il échappe à toute position donnée sur une ligne, s’il faut que, par définition, il soit ici et là sans être jamais ici ou là, comment se fait-il que ce glissement, que ce chevauchement trouve un terme ? Précisément, dira-t-on peut-être, parce que le mouvement finit. Très bien, mais si le mobile fait un mètre à la seconde, il faut qu’il fasse exactement en dix tierces un sixième de mètre, et un soixantième en une tierce. Les instants vont se multiplier, les jalons apparaître de plus en plus nombreux dans le devenir qui se prête finalement, en toutes ses parties, à la pénétration d’éléments qui lui sont contraires.

Or ce fait de la nécessaire coexistence de l’acte et du devenir, de l’élément et de l’intervalle est au plus haut point suggestif. Si ces termes se rencontrent partout et toujours, ce n’est pas le devenir, c’est l’acte, ce n’est pas l’intervalle, c’est l’élément, qui hors de nous est réel, et la raison en est bien simple. Le devenir peut être phénomène ; il ne se conçoit même bien que comme subjectif : l’acte, au contraire, qui, comme l’élément, est unité, exclut la représentation, nie l’apparence et ne peut être qu’en soi.

Faut-il admettre que le devenir se suffit ? Soit : on demandera s’il peut, malgré tant d’apparences contraires, réussir là où échoue l’infini mathématique ; car, s’il est un, comment est-il progrès et se développe-t-il dans la durée, et si la durée, qui paraît divisible, est une au fond, pourquoi donne-t-elle accès aux instants ?

Croire d’autre part qu’il est divisible, c’est laisser reparaître le nombre ; et accepter de nouveau le défi sur le terrain qu’a choisi Zénon d’Elée.

Mais ces problèmes ne peuvent être abordés incidemment. C’est du point de vue de la mathématique qu’il faut étudier le devenir. Il semble qu’il y règne, qu’il y soit maître. Peut-être cependant un certain degré d’analyse suffirait-il à montrer que des deux éléments qu’envisage le géomètre, grandeur et nombre, le devenir ne relève que de ce dernier, en ce qu’il a d’indéterminé et de purement subjectif.

Le point de vue de la grandeur, il ne sera pas impossible de l’établir, est plus favorable qu’on ne le croit aux partisans des indivisibles.

Résumons-nous. Le philosophe à qui je réponds et qui m’a fourni l’occasion de m’expliquer a voulu voir dans le mouvement, sous l’effet la cause, sous le phénomène l’activité, et, métaphysicien, il a eu raison ; mais le devenir auquel il s’arrête, s’il est autre chose qu’un voile jeté par la perception et maintenu par l’entendement sur des faits distincts et précis, n’a de l’activité que l’apparence, ou n’en représente qu’une forme inférieure et inféconde. Pour tout expliquer dans le mouvement, il ne faut rien lui retrancher de cette vie intérieure que le devenir promet sans doute, que seul, en son plein accomplissement, peut donner l’acte.

François Evellin.