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substitue ses associations habituelles aux données de l’hypothèse. Le mouvement, tel qu’il se montre, à la perception d’abord, puis à l’entendement, qui, sans altérer l’image, l’idéalise, implique un intervalle et deux termes. Or chacun de ces éléments est essentiel au concept ainsi formé ; en retrancher un seul, c’est toucher à la vision intérieure et la détruire. Qu’arrive-t-il maintenant lorsqu’on pose une hypothèse de raison pure, une de ces hypothèses que, de nécessité et au nom du principe de contradiction, il faut faire pour que l’intuition elle-même soit expliquée ? Instinctivement, sourdement, tous les souvenirs, toutes les tendances y résistent. Ici c’est l’intervalle qui se refuse à disparaître, ou qui ne disparaît que pour rentrer furtivement dans une formule qui l’enveloppe. Sans raison, contre toute raison, il arrive toujours et quand même à se faire une place dans l’hypothèse. C’est que l’intervalle est un mode du continu et que le continu, c’est tout le sensible. La perception le voit, la mémoire le rappelle, l’imagination l’étend dans l’espace et nous en fait une atmosphère. Son fantôme nous poursuit jusque dans la science, et l’on peut dire qu’en ses plus abstraites spéculations le géomètre vit face à face avec lui.

On peut croire que les difficultés qu’a suscitées la doctrine des indivisibles viennent en grande partie, sinon toutes, de nos associations habituelles et des exigences artificielles qu’elles déterminent. Leur formule est presque toujours la même. Vous supposez des longueurs dernières, et vous affirmez que, dans l’hypothèse, ces longueurs, en se juxtaposant, forment des longueurs divisibles. Partes juxta partes, voilà l’idée proposée ; on entend partes extra partes, comme s’il pouvait y avoir autre chose que d’autres parties entre les parties que l’on considère.

Dans le détail, les objections se multiplient, insurmontables seulement lorsque l’on perd de vue la donnée. Par exemple, on nous demande, non sans l’espoir d’être indiscret, si les longueurs ultimes, les éléments que nous supposons, peuvent engendrer angles et courbes. On veut savoir comment, dans l’hypothèse, la diagonale se conçoit et se calcule. La réponse, en vérité, est bien simple. Angles et courbes, tout cela est continu et formé du continu. L’hypothèse de la contiguïté n’a rien à y voir ; et quant à ces lignes que seul le continu rend possibles, on n’imaginera pas, sans doute, que nous allions les tracer à l’extrémité d’éléments qui n’ont pas d’extrémités.

On sourit parfois d’une prétention assez plaisante, sans songer qu’on la prête généreusement et sans les consulter aux partisans du fini. Ils auraient, paraît-il, a leur usage, mais à leur usage seulement, une géométrie et une mecanique. Pour peu que l’on se soit rendu compte des observations qui précèdent, il est clair qu’il ne peut y avoir pour personne d’autre géométrie que la géométrie, d’autre mécanique que la mécanique. Fondées sur l’intuition, pénétrées de toutes parts par le continu, ces sciences ont leurs principes, leurs méthodes, tout un organisme assez complexe qu’on peut analyser avec intérêt, mais auquel il serait à la fois irrationnel et imprudent de toucher. Peut-être, après tout, quelques-unes des idées qui les dominent sont-elles moins étrangères qu’on ne le croit à l’hypothèse du fini ; mais reservons le problème. Il s’agit, pour le moment, de savoir si