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l’intégrité de son prestige moral, lui impose aussi l’obligation de se transformer sans cesse avec les temps, et sans retarder sur les temps, obligation singulièrement délicate dans un siècle où les idées se renouvellent plus rapidement que les générations, où la science est si vaste qu’il n’est guère permis à un individu d’en traverser ou d’en approfondir deux conceptions différentes. Il y a, chez un corps savant qui a conscience de sa responsabilité, une tendance naturelle à ne « consacrer » un mouvement intellectuel qu’une fois ce mouvement arrêté, fixé, et remplacé déjà par d’autres mouvements. La question a peu d’importance lorsqu’il s’agit simplement de réunir dans une académie les représentants les plus distingués, les plus autorisés surtout, de la science et de l’art. Pour un véritable institut, comme est le Collège de France, destiné à diriger la vie intellectuelle d’un peuple, elle devient décisive. Ici, fécondité et stérilité signifient littéralement vie et mort[1].

Aussi, chaque fois qu’il se produit un changement dans l’orientation des esprits, à chaque tournant de l’histoire des idées, tous ceux qui s’intéressent au Collège de France se posent avec préoccupation, avec quelque inquiétude même, la question de son avenir. M. Gaston Paris semblait en entrevoir, en prophétiser presque le déclin, devant la tombe de Renan. Osons espérer et prédire à notre tour que ce sera la fin non pas de l’institution elle-même, mais simplement de la période qu’elle vient de traverser ; et osons indiquer comment il est possible de la préparer à l’inévitable transformation, à la venue de l’esprit nouveau. — Le Collège de France a traversé, en ce siècle, deux périodes : la période de Michelet, de Quinet et de Mickiewicz, — et celle à laquelle le nom de Renan mérite d’être attaché. Deux fois, il été proposé à l’esprit français de se soumettre à la discipline de la culture allemande. Mais, après l’Allemagne de Herder, de Fichte et de Schlegel, visitée par Mme de Staël et par Victor Cousin, c’est l’Allemagne de Bopp, d’O. Müller et de Strauss qu’on nous a offerte en modèle ; et, sous le second empire, pendant la longue crise que l’Université subissait, nos maîtres ont lutté pour défendre, en

  1. C’est une des raisons pour lesquelles le droit de tutelle exercé par l’Institut sur le Collège de France semble plutôt regrettable. Inutile tant que l’accord subsiste, il offre ce danger, en cas de conflit, que l’opposition se manifestera moins entre deux idées différentes qu’entre deux moments distincts de la science, entre le passé et le présent. C’est ainsi qu’il est arrivé à l’Institut, pour l’enseignement d’une science nouvelle, d’opposer au savant qui en avait été l’introducteur en France un professeur dont le développement intellectuel était antérieur à la découverte de cette science, et qui en niait à peu près l’existence.