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ment antérieur à ses accidents ; or, avant tout accident, rien ne motive rationnellement la multiplicité de l’être, non plus que la multiplicité dans l’être, autrement dit la différenciation, la variété. De là vient que Dieu est nécessairement unique pour le théologien qui détermine la nature divine par la seule raison. Le polythéisme ne pouvait être un fruit de la raison, il est né de l’imagination. La raison trouve donc une impossibilité radicale à concevoir et à expliquer l’origine de la multiplicité et de la diversité dans la nature. C’est pourtant à ce problème que semblerait s’être attaqué Darwin, d’après le titre de son livre fameux : l’Origine des espèces. En réalité il n’en a considéré que l’origine empirique, c’est-à-dire la filiation régressive jusqu’à la moindre division possible de la souche commune, sans prétendre en formuler scientifiquement l’origine rationnelle qui est métaphysique. Il a été surpris de la prodigieuse diversité des formes vivantes, et, au lieu de se contenter de les classer par genres, espèces et variétés, ce qui est un moyen de les distinguer et de les reconnaître, mais n’apprend rien de leur genèse, il a tenté de découvrir de quelle façon s’est opérée celle-ci.

Il n’a pas considéré comme explicative la commode affirmation de la Bible, à savoir que chaque espèce a été créée séparément, une fois pour toutes, aussitôt que la terre a été habitable. Remarquons toutefois qu’il ne répugne pas plus à la raison d’admettre cette création immédiate de toutes les différentes espèces, que d’admettre la plus simple différenciation originelle dans l’unité initiale de l’être. Il est aussi difficile à la raison de motiver et d’expliquer cette minime variation, même supposée infiniment petite, dans l’être, conçu nécessaire, que de se rendre compte de la multiplicité innombrable des variations appelées espèces, qui procède de ce même être nécessaire. Il n’en est pas moins vrai que Darwin a témoigné d’un grand esprit scientifique dans sa tentative, car la science se donne pour mission, non de révéler les causes premières, mais d’expliquer la diversité des phénomènes par le moindre nombre possible de causes prochaines ; si donc il est vraisemblable que deux espèces différentes d’animaux aient une souche commune, il est du devoir des naturalistes de s’en préoccuper et de rechercher quelle peut bien être cette souche. Darwin n’est pas parvenu à ramener toutes les espèces à une souche unique, toutes les formes vivantes à une forme initiale unique qui se serait progressivement compliquée et perfectionnée, mais il a mis en relief et en évidence, avec une admirable sagacité,