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est affaire à « cette critique abstraite entre métaphysiciens qui s’efforcent de se contredire ». Or quel historien de la philosophie peut consentir à cette distinction entre l’esprit et la logique d’un système ? Philosopher, n’est-ce pas systématiser ? Sans doute M. Bénard, toujours à la poursuite du véritable « esprit » de la doctrine de Platon, croit pouvoir se consoler des contradictions rencontrées chez le philosophe antique, entre l’idée métaphysique et l’idée morale, en trouvant « quelque chose d’analogue, ici à la distinction entre la raison théorique et la raison pratique de Kant, qui, sceptique en théorie, redevient dogmatique et croyant dans la morale » (p. 273). Mais la distinction kantienne entre la raison théorique et la raison pratique est une distinction théorique elle-même, et, comme telle, philosophique ; si une distinction semblable devait se rencontrer chez Platon, cette distinction, n’étant pas fondée en théorie, serait un vice, non un mérite du système.

Nous croyons plus intéressant d’étudier et de discuter le livre de M. Bénard à un autre point de vue. Le Platon que M. Bénard nous propose est, à bien des égards, le Platon de la tradition populaire — Platon tel que saint Augustin, par exemple, peut l’avoir compris et christianisé. Des idées extérieures et transcendantes à la pensée humaine ; un Dieu en qui résident ces idées ; des âmes capables de science, des choses susceptibles de devenir intelligibles, grâce à leur participation aux idées. Nul doute que l’on puisse retrouver chez Platon tous les dogmes du spiritualisme chrétien. Platon a tout dit ; mais la question — une question de méthode — est de savoir en quel sens, et dans quel ordre, il a tout dit. — Suivant nous, M. Bénard a négligé après tant d’autres — et là est l’origine de son erreur « paresseuse » — de distinguer chez Platon deux procédés littéraires, deux méthodes de recherche, deux moments philosophiques : le mythe et le dialogue ou dialectique.

Sans doute, dans le préambule de l’ouvrage, M. Bénard, entre deux études très hâtives — sur la Vie de Platon, d’une part, et, de l’autre, sur les sources de la Philosophie de Platon — traite, sous ce titre : les écrits de Platon, du dialogue et du mythe platoniciens. Mais pour quelles raisons, d’ordre philosophique, Platon a-t-il adopté ces deux procédés ? « On aimerait à voir la raison prolonde déduite de la doctrine elle-même » (p. 319), comme le dit, ailleurs, à un autre sujet, M. Bénard et comme il l’indique ici trop sommairement. — Est-ce pour des raisons d’ordre esthétique que Platon a adopté la forme du dialogue ? — Mais, les vrais chefs-d’œuvre littéraires ne sont-ils pas, parmi les dialogues, ceux où Platon a su le mieux s’affranchir de la forme dialoguée ? Quoi de moins « dramatique » que le Parménide, le Sophiste, le Philobe ? Et quel allégement de ces dialogues, considérés comme œuvres d’art, si le rôle de l’interlocuteur de Socrate, de Parménide ou de l’Hôte Éléate était purement et simplement supprimé ! C’est pour des raisons de doctrine, au risque de rebuter son lecteur, que Platon fait un emploi systématique du dialogue : le dialogue est la vraie forme d’une méthode et d’une pliilosophie critiques. — De même le mythe n’est pas un simple « repos », un « amusement » pour le génie de Platon ; ce n’est pas non plus une méthode « affectée à cette