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À propos de l’idée de la perfection divine et des conséquences qui y sont renfermées, après avoir dit : « Auparavant que je passe à la considération des vérités qu’on en peut recueillir, il me semble très à propos de m’arrêter quelque temps à la contemplation de ce Dieu tout parfait, de peser tout à loisir ses merveilleux attributs, de considérer d’admirer et d’adorer l’incomparable beauté de cette immense lumière », Descartes ajoute : « au moins autant que la force de mon esprit, qui en demeure en quelque sorte ébloui, me le pourra permettre ».


Partout le savoir se termine à des obscurités qui semblent impénétrables, autrement dit à quelque chose de semblable à ce que l’antiquité appela mystère. Mystères que l’attraction et que les affinités ; mystère que la manière dont tout vivant naît et s’accroît (Je ne sais, dit Van Helmont, comment les principes séminaux expriment leurs vertus) ; mystère que l’influence de l’âme sur le corps et du corps sur l’âme ; mystère que la pensée, dont nous avons une si irrécusable expérience : c’est, dit Leibniz, « un je ne sais quoi »; mystère que la manière dont nous apprenons, en pensant, que nous pensons ; mystère que la manière dont la volonté se meut elle-même. Descartes constate la plupart de ces faits sans en essayer aucune de ces explications apparentes qui ne sont jamais que des emprunts à des phénomènes d’un ordre inférieur, l’ordre des sens physiques et de l’imagination. C’est pour n’avoir pas eu peut-être une conscience aussi profonde de ce qu’a de spécial et de supérieur l’ordre de la pensée que Leibniz a tenté, et tenté vainement, de remplacer par son harmonie préétablie entre le corps et l’âme leur union réelle, et d’expliquer par une prépondérance de motifs qui transporte à la sphère spirituelle un mécanisme du monde corporel plus apparent encore lui-même que réel[1], les libres décisions de la volonté.

Rien, probablement, ne contribua plus, dans les siècles modernes, à avancer pour la philosophie l’heure, peu éloignée peut-être aujourd’hui, où elle arrivera à une pleine conscience de ce qui s’offre partout à elle de mystères et du chemin à prendre, sinon pour les pénétrer dans leurs insondables profondeurs, au moins pour en approcher autant que le permettent des facultés comme les nôtres,

  1. Voy. la Philosophie en France au XIXe siècle, 2e éd., p. 270.