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avons-nous conclu, une illusion. Et pourtant nous désirons connaître et non pas seulement nous connaître, mais connaître le monde. Par nature, tous les hommes désirent savoir, dit Aristote, à la première ligne de sa Métaphysique : idée devenue si banale qu’on ne songe plus à l’analyser pour la comprendre réellement. Ce désir de connaître, se réalisant sous différentes formes, religions, sciences, philosophies, a poussé l’homme et l’a soutenu à travers les siècles, malgré les éternels échecs. Ce désir, nous devons essayer de prendre conscience de sa réalité, de son intime essence. Si le but où il nous conduit, quand il nous pousse à essayer de nous pénétrer nous-mêmes, est une illusion, un fantôme, qu’est-il donc quand il nous pousse à essayer de pénétrer le monde ? Que désirons-nous alors en désirant connaître ?

Avant d’aller plus loin, je ferai remarquer au lecteur, pour éviter toute équivoque, que je fais abstraction momentanément de la thèse exposée dans le premier chapitre et que je me place sur le terrain des adversaires de cette thèse, c’est-à-dire sur le terrain de ceux qui croient à la réalité de la connaissance proprement dite. Je parlerai quelque temps leur langue, je supposerai que l’homme peut réellement connaître, que la science n’est pas, en tant que telle, un vain mot, et, partant de là, j’essaie simplement de me rendre compte de l’essence de ce désir de savoir. Si, au bout de cet examen, on doit reconnaître que cette recherche de la science se trouve étrangère à toute recherche de la vérité sur les choses, ce ne sera pas la faute de ma thèse (que j’oublie provisoirement), mais ce sera que la thèse de la partie adverse contient une contradiction intrinsèque.

Et d’abord, pour déblayer le terrain, remarquons que nous n’avons pas à nous occuper ici de la connaissance objectivement certaine. Depuis Carnéade au moins, l’on ne peut plus sérieusement songer à trouver la certitude objective. Car, dans le domaine même de la connaissance où elle peut seulement se placer, on en démontre aisément l’impossibilité. Une des démonstrations les plus simples et les plus claires est celle qu’en donne M. Delbœuf dans sa Logique : La certitude objective absolue, soutient-il, est une chimère, puisqu’il n’y a pas de critérium absolu de certitude. En effet, le critérium absolu naturel serait l’objet lui-même, et « avant d’accepter un autre critérium artificiel, je dois m’assurer qu’il peut remplir le même office que l’objet ; ce qui est impossible, puisque l’objet m’est