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ce qui cause cette dégradation, cette chute, c’est l’acte de connaissance proprement dite. Ainsi la connaissance peut se définir : la création de l’illusion ou du phénomène (ces deux termes étant convertibles).

Mais il faut bien comprendre que c’est seulement en tant que comportant objectivation (interne) que la connaissance est l’illusion. Nous disons : Quel que soit l’être qui connaît, il se fait illusion en tant qu’il croit connaître autre chose que lui-même, et lui-même au moment actuel, cette autre chose lui parût-elle interne à lui-même.

Ici le lecteur nous arrêtera peut-être par une objection que nous avons déjà abordée plus haut (p. 11 et 12) et à laquelle nous allons répondre tout au long, afin de n’y devoir plus revenir. On dira : Mais comment pouvons-nous savoir que la pensée est le jouet d’une illusion dans la connaissance ? Votre thèse n’est-elle pas destructive d’elle-même ? N’est-ce pas par la pensée, en tant que connaissante, que vous connaissez cela même, si votre thèse est juste, à savoir que la pensée est le jouet d’une illusion dans la connaissance ?

À cette objection, nous n’avons qu’une réponse à faire et il faudra que le lecteur s’en contente : Non, car notre thèse est, en réalité, une donnée immédiate de la conscience. Cette thèse, nous ne la présentons ni déductivement, ni inductivement ; elle ne se prouve pas, parce qu’elle ne comporte ni la preuve, ni la nécessité d’une preuve : elle n’est au fond que la transcription de ce que déclare la conscience elle-même. Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’amener le lecteur à consulter attentivement cette conscience. Pour cela, nous lui ferons remarquer que toute connaissance comme telle est une pensée qui se représente à elle-même comme ayant un objet. Prenez en effet conscience d’une connaissance (telle que celle-ci : J’ai une sensation de rouge), c’est-à-dire, après la constatation mentale spontanée (et, par suite, aveugle et, en somme, inconsciente) que vous avez une sensation de rouge, réfléchissez votre pensée même — ce qui signifie : prenez réellement conscience de son contenu total (et non plus seulement du je) — et immédiatement votre pensée se représente à elle-même comme ayant un objet. Or toute ma thèse est contenue dans cette représentation immédiate. Je ne prouve rien, absolument rien ; je me borne à écouter ce que me dit la conscience : elle me dit que, quand je connais, le je (quel qu’il soit dans sa nature intime) se représente à lui-même comme ayant un objet autre que lui-même. La conscience constate ainsi que dans l’acte de connaissance le sujet