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croyait, dans sa belle confiance ingénue, qu’il saisissait, qu’il étreignait la Réalité sous les ailes puissantes et invincibles de son génie, n’étreint que le rêve de ce génie et est, au contraire, sans qu’il puisse l’apercevoir au moment même, l’éternel créé par cette Réalité même, l’incessamment constitué, dans sa profondeur intime, par la série, sans commencement ni fin ni actualité à lui saisissables, des choses en soi, des Réalités. Il n’est pas seulement agi, comme disait Malebranche, il est fait, sans pouvoir, au moment où il est ce qu’il est fait, savoir ce qu’il est fait.

Si, jusqu’ici, notre exposé a été clair, nous n’aurons pas à nous arrêter longuement sur la théorie de la substance proprement dite et sur la critique qu’en fait M. Renouvier. Si aucun des représentés ni aucun des représentatifs n’est susceptible d’être considéré comme la chose en soi, il reste un parti à prendre, c’est de la déclarer substratum inconnu des phénomènes, et de la nommer substance. « On a nommé, dit M. Renouvier, la chose en soi substance (de sub stare), parce qu’elle est, dit-on, sous les phénomènes ; elle n’est rien qui paraisse, elle est le support de tout ce qui paraît. » Si la substance est définie : ce qui n’apparaît pas et est pourtant la Réalité même, nous admettons la substance, et elle est pour nous, d’après ce que nous avons exposé, l’état de conscience comme tel.

M. Renouvier objecte aux partisans de la substance (ce mot pris avec la définition que nous avons citée plus haut) « leurs propres aveux ». « Premier aveu : La substance n’est connue que par son attribut. » — « Second aveu : L’attribut lui-même ne se manifeste que par ses modes. » Quant aux modes, qui constituent tout ce qui est connu de la substance, leur définition même implique qu’ils ne sont pas en soi. Donc, conclut-il, « il ne reste aucun moyen de fixer comme en soi quelque chose que ce puisse être, sachant ce que c’est que cette chose[1]  ».

Cette critique n’est une critique qu’en apparence. En somme, son langage le montre, il est sur la substance de l’avis des substantialistes, à cette différence près que ceux-ci croient à l’existence de la substance tout en la proclamant inconnue, tandis que Renouvier n’admet que ce qui existe pour la connaissance. Dans le domaine de la connaissance proprement dite, où il se tient volontairement, il n’est pas réellement l’adversaire des substantialistes, puisque la thèse

  1. Renouvier, 1er Essai, § XIII