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présentée par M. Renouvier. Cette réfutation nous semble absolument péremptoire. Mais où nous ne pouvons plus suivre complètement le penseur, c’est quand, examinant les différents représentatifs dont on pourrait vouloir faire des choses en soi, il essaie de montrer qu’aucun d’eux ne répond aux conditions voulues. Certes nous n’avons rien à objecter quand il montre que ni les forces, ni les passions, ni les idées particulières, ni les idées générales ne peuvent constituer la chose en soi tant cherchée[1]. Nous n’avons rien à objecter parce que nous ne comprenons pas la question telle que l’énonce ici M. Renouvier. « Il s’agit de savoir, dit-il, si, considérés à leur tour comme des représentés (grâce au redoublement qui est le caractère propre à la représentation), ils (les éléments formels de la représentation pure) nous révéleront enfin l’existence et la nature de la chose en soi[1]. » Nous avouons ne pas comprendre cette manière de poser la question : pour nous, il s’agit uniquement de savoir si le représentatif comme représentatif, l’état de conscience comme état de conscience, au moment où il apparaît, avant que l’esprit réfléchisse, et en réfléchissant, le transforme en non-moi interne, il s’agit de savoir, dis-je, si alors il n’est pas chose en soi. Pour nous, la question ainsi présentée — et la suite montrera pourquoi nous ne croyons pas qu’on puisse la présenter autrement — contient sa propre réponse, une réponse affirmative. Dans ces conditions, cette chose en soi est inconnaissable. Certes, et c’est précisément ce qui démontre qu’elle est une chose en soi. Connaître un état de conscience, c’est une expression contradictoire, car le connaître, c’est évidemment ne pas le connaître tel qu’il est, ou plutôt tel qu’il était, car il n’est déjà plus lui à ce moment où l’esprit remarque, comme on dit, qu’il est en lui ou devant lui. Cette thèse nous semble si claire et, disons le mot, si naïve dans sa vérité que nous avons scrupule de la développer, nous ne pourrions même l’établir qu’en nous servant d’un langage absurde par sa naïveté même. Ce qui fait qu’on ne sait pas l’admettre, c’est qu’au fond, et quoi que nous fassions, nous avons toujours cette idée de l’esprit, comme d’un être dans lequel ou devant lequel se produisent ou se placent les états de conscience. Nous ne savons pas nous débarrasser — nécessité fâcheuse dont le langage est coupable — de cette notion d’une entité pensante comme d’un milieu producteur on enregistreur des faits

  1. a et b Renouvier, ibid., § XIII.