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I


La renommée, au sens ordinaire du mot, était le moindre souci de Spir, et, en ne lui attribuant aucun prix, il se montrait conséquent avec lui-même. C’est une maxime, en effet, de sa philosophie que l’individualité n’a aucune valeur par elle-même et que tout ce qui se rapporte à l’individu comme tel est sans intérêt. Autant il attachait d’importance à ses idées philosophiques, dont la vérité était certaine à ses yeux, autant il était exempt de toute vanité d’auteur. Il était plutôt frappé de la disproportion qu’une modestie excessive lui faisait apercevoir entre l’ouvrier et son œuvre, et, bien loin de s’enorgueillir de l’avoir conçue, il attribuait à la faiblesse de son esprit, où cette doctrine avait germé comme par une faveur du sort, après de longues méditations cependant, le peu d’accès qu’elle avait eu dans les autres esprits. Aussi ne m’avait-il donné sur son histoire personnelle que les informations les plus sommaires. Grcàce à l’obligeance de sa femme, de sa fille, moins soucieuses de se conformer exactement à ses principes que d’assurer le culte d’une chère mémoire, j’ai pu, et je les en remercie, compléter ces informations dans une certaine mesure.

Spir était né le 15 novembre 1837, en Russie, dans le gouvernement de Kherson, à sept kilomètres de lélizavetgrad. Son père, Alexandre Spir, avait alors soixante ans ; c’était une figure originale, et il n’est pas indifférent de l’esquisser ici, au moins par quelques traits. Docteur en médecine et en chirurgie, il avait débuté au service de l’État, et avait été nommé professeur extraordinaire à l’université de Moscou. Il ne garda pas longtemps ces fonctions : une épidémie ayant éclaté au Kamtchatka, il y courut pour la combattre. Il reçut, au retour, des félicitations autographes de l’Empereur et ne tarda pas à être pourvu de charges importantes. Successivement inspecteur de la commission sanitaire d’Astrakan et d’autres villes, secrétaire du gouvernement à Kalouga, professeur supérieur à Saint-Pétersbourg, attaché à l’administration de la marine, conseiller de collège et conseiller de cour, décoré, depuis 1812, de l’ordre de Saint-Vladimir, il poursuivit jusqu’en 1830 une brillante carrière. Il y renonça alors tout à coup pour se consacrer tout entier à la composition d’un ouvrage auquel il songeait depuis longtemps. Il voulait recommander une méthode de traitement toute nouvelle à