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vent : mais nous demanderons si quelques faits sont tous les faits, et s’il n’en existe pas qui ne sont pas interprétés de cette façon. Nous ne faisons pas en ce moment de métaphysique ; mais nous en appelons d’une idée imparfaite à une idée plus juste du déterminisme scientifique : les lois naturelles de l’histoire, si elles existent, sont infiniment plus compliquées qu’on ne paraît le supposer, et bien des coutumes, et peut-être bien des lois ont dû leur formation à ce qu’on est convenu d’appeler de petites causes, et pour nous leur origine reste toute fortuite et presque arbitraire. Il est très simple peut-être et très séduisant pour la pensée d’imaginer à l’origine de chaque notion juridique un conflit ; pour tout conflit une sentence arbitrale ; et puis, les cas analogues se multipliant avec le temps, des sentences nouvelles confirmant les précédentes ; et enfin l’idée commune de toutes ces sentences finissant par s’imposer à la conscience et aux mœurs de tous, par se cristalliser sous la forme de coutumes d’abord, et ensuite de lois. Cela est très simple, mais, nous le craignons, plus simple que vrai.

On pourrait trouver une autre preuve de cette substitution des hypothèses aux faits et de l’insuffisante sûreté d’une semblable argumentation dans les contradictions au moins apparentes qu’une pensée cependant très maîtresse d’elle-même a parfois laissé passer. Ainsi, nous lisons (page 133) : « En dépit des assertions de M. Fouillée, l’idéal moral et juridique ne réclame nullement l’extension du contrat à toutes les institutions sociales et politiques… Le contrat n’a de place ni dans la constitution parfaite de la famille, ni dans celle de la nation » ; et plus loin (page 212) : « Dans une société d’égaux, le contrat, seul apte à combiner en une harmonie générale la diversité des aptitudes, devient le lien social principal. Cette institution pénètre et transforme la famille, la propriété et le gouvernement politique, etc. » M. Richard nous répondra peut-être que ce qu’il a condamné dans une théorie d’ailleurs insuffisante, il le réhabilite en se plaçant à un point de vue meilleur ; mais c’est précisément cette opposition de points de vue qui nous semble exister plutôt dans les mots que dans les idées ; et nous ne voyons pas qu’il s’abstienne lui-même assez de ces discussions toutes formelles qu’il reproche tant aux métaphysiciens.

Assurément il puise son érudition aux meilleures sources ; souvent même il propose une interprétation nouvelle et généralement ingénieuse de certains faits historiques ou ethniques. Mais, si grand que soit l’intérêt de cette sorte de recherches, nous ne pensons pas qu’on puisse leur attribuer la valeur de véritables expériences ; les discussions interminables qui ne cessent de s’élever à ce sujet entre historiens, économistes, philosophes, suffisent à nous imposer une grande prudence. Trop souvent, il faut bien le dire, on trouve à l’origine de ces conceptions une hypothèse suggérée par un simple fait, par un détail des événements ; et nos informations toujours indirectes, incertaines et incomplètes se prêtant complaisamment à plusieurs interprétations différentes, notre hypothèse devient bien vite avec un peu d’imagination l’expression évidente pour nous de la vérité historique. Il ne peut être question de supprimer ces études ; mais nous voudrions qu’on prit l’habitude d’en donner les résultats pour ce qu’ils valent, c’est-à-dire pour de simples probabilités.