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résulte. L’idée du droit sort, dit-on, de ce conflit ; c’est la réponse des instincts altruistes. Il n’y aurait point de droit, dira plus loin M. Richard, s’il n’y avait pas de violation du droit. Examinons cette analyse qui est fondamentale, puisqu’elle contient en elle la théorie tout entière de l’auteur. Les faits dont on doit tenir compte, ce sont les sentiments naturels, altruistes ou égoïstes ; et aussi les états complexes qui résultent de la présence simultanée et de la combinaison de ces deux sortes de penchants opposés. Qu’arrivera-t-il ? Souvent des contrastes auront lieu, des conflits, et la représentation de l’arbitrage pourra se former comme un moyen indiqué par la sociabilité pour résoudre ces conflits. Mais ces contrastes ne se produisent pas nécessairement ; l’égoïsme et l’altruisme ne sont pas constamment en opposition. Peut-on dire que l’idée de droit ne naîtra que dans le premier cas ? Nous ne le croyons pas : car dans le second la sociabilité que rien n’entravera suffira pour introduire dans les relations entre hommes un premier sentiment de la réciprocité, et par suite une certaine notion du droit, en dehors de la représentation d’un arbitrage, qui n’aurait ici aucun sens. Accordons que le premier cas soit primitivement le plus fréquent ; il reste vrai que l’idée du droit peut avoir une autre origine que la notion d’arbitrage.

Poursuivons cette analyse. La conscience du droit, dit M. Richard, n’implique pas seulement l’arbitrage (et par suite le délit), mais la garantie sans une garantie, les prétentions individuelles ne s’effaceraient jamais devant les instincts sociaux. Il est très vrai que la conscience d’une garantie sociale généralise et affermit la notion du droit, tend à lui assigner un rôle prépondérant dans la vie sociale et régularise ainsi peu à peu les sociétés humaines ; mais elle n’est nullement nécessaire à l’existence même de cette notion. Dès qu’on a reconnu l’existence d’une sociabilité naturelle, il faut admettre non seulement que cette sociabilité pourrait suffire à déterminer une certaine idée de droit, mais que, en cas de conflit avec l’égoïsme, cette idée naîtrait immédiatement et avec force, en l’absence de toute garantie sociale antérieurement donnée. La garantie est une condition du passage du droit idéal au droit positif, et du droit positif lui-rnême ; le droit idéal ne la suppose pas nécessairement.

Nous ne voyons pas que M. Richard ait bien établi la nécessité pour la conscience du droit de passer précisément par les diverses notions qu’il étudie ; ni qu’il ait montré dans l’ordre qu’il suit la marche constante de l’évolution du droit. C’est qu’il n’a pas laissé assez grande la part des faits (nous ne prétendons pas que ce fut bien facile), mais qu’il a fait trop large celle des hypothèses ; et qu’il n’a pas assez complètement distingué les hypothèses des faits qu’elles interprètent. Ainsi nous pouvons bien concevoir aujourd’hui les rapports du procès civil et du procès criminel, et retrouver des deux côtés la représentation d’un arbitrage ; mais avons-nous le droit d’affirmer l’identité des résultats de notre analyse et des sentiments de l’homme primitif ? De même, est-il bien évident que toutes les lois soient sorties de coutumes antérieures ? et surtout que toutes les coutumes aient été des résumés d’une multitude de sentences arbitrales se rapportant à des cas semblables ? Il y a, nous dit-on, des faits qui le prou-