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de notre idée du droit. La méthode est séduisante, et elle nous plaît par son caractère à la fois positif et synthétique.

On pourrait soutenir, il est vrai, qu’elle n’est applicable qu’au droit positif ; et nous aurons à retenir quelque chose de cette première objection. Mais nous la croyons inacceptable sous cette forme absolue ; et nous admettons que la méthode expérimentale peut aller jusqu’à faire la distinction du droit positif et du droit idéal. On peut, en effet, demander à l’expérience de nous faire connaître à chaque époque de l’histoire ou chez différents peuples les formes de l’idée de droit déjà bien assimilées à la conscience générale et clairement manifestées dans les rapports sociaux, c’est-à-dire les développements simultanés ou successifs du droit positif. Mais on peut aussi lui demander de saisir les diverses expressions objectives de ces sentiments plus profonds, plus obscurs aussi, par lesquels notre nature semble s’élever au-dessus de son état présent, par lesquels tout au moins l’homme civilisé est supérieur à l’homme sauvage ; et, en les interprétant dans la conscience humaine, on peut arriver à dégager en tous les temps, chez tous les peuples, la notion idéale d’un droit qui n’est pas encore, qui ne se traduit pas en formules pratiques, en lois ou même en coutumes, et qui cependant nous permet de juger le droit positif, et nous en fait sentir les imperfections avec les lacunes.

Si vous faites ces concessions, nous dira-t-on, vous accordez que l’expérience suffit à fonder une philosophie du droit. Nous répondrons que, tant qu’on ne sort pas des généralités, aucune objection grave ne nous paraît pouvoir être élevée contre cette méthode ; mais, si nous regardons à la mise en œuvre, les difficultés naissent, et elles sont nombreuses. M. Richard considère l’idée de droit comme une idée complexe et dérivée, précédée dans la conscience par différentes notions qui en sont le contenu, les notions de l’arbitrage, de la garantie, du délit, de la dette. Nous acceptons en principe sa méthode ; mais ses analyses ne s’y rattachent que très imparfaitement. Elles sont trop purement dialectiques, et parfois bien subtiles ; ses généralisations semblent bien hâtives, comme aussi trop grande est la valeur qu’il attribue à des interprétations toujours difficiles de faits complexes et mal connus. M. Richard oublie trop que, si même on admet l’utilité dans la science objective des règles bien connues en logique sous le nom de canons de l’induction, ces règles ne sont plus guère applicables que nominalement dans l’étude des questions morales ou sociales, et ne sont plus ici qu’un cadre trompeur donné à de simples collections ou comparaisons de faits, et aux idées qui nous servent à traduire et à interpréter ces faits. Son argumentation perd ainsi en vérité ce qu’elle gagne en clarté apparente, et trop souvent elle nous laisse l’impression d’une vie et d’une conscience sociales un peu bien simples pour être réelles.

Notons au passage, pour mieux faire comprendre nos réserves, quelques idées qui nous semblent pouvoir être aisément contestées. Dès le début de l’ouvrage on fait remarquer, très justement d’ailleurs, le rôle joué dans la formation de nos idées par les associations contractées : c’est ainsi que sociabilité naturelle de l’homme pourra primitivement se déterminer par son contraste avec les sentiments égoïstes, et la concurrence vitale qui en