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ture sociale, le caractère individuel. — 1° Le droit et l’intérêt, — Le droit ne se laisse ramener ni à la loi, ni au besoin ; à la loi : car il serait variable, et cesserait d’exister ; au besoin : car la conscience du délit est en raison inverse de la pression des besoins, et les délits se multiplient avec la diminution des moyens de subsistance. Toutefois le droit n’est pas l’opposé du besoin, il est la discipline des besoins, et n’apparaît que le jour où le besoin, plus facilement satisfait grâce à l’action du travail sur la nature et de la science sur le travail, n’absorbe plus l’homme tout entier. Le droit à son tour réagit sur le travail, dont il transforme la nécessité physique en obligation morale.

Le droit et les conceptions religieuses. — C’est du culte seul, non du dogme, qu’on peut songer à faire dépendre le droit. Or les religions primitives, tout utilitaires, vraies causes de guerre entre les hommes, sont, par la terreur qui en est l’âme, l’obstacle le plus redoutable aux progrès du droit. La réconciliation ne se fait que par le déclin de l’anthropomorphisme aboutissant à la négation du culte utilitaire, et par la transformation corrélative du sacrifice, qui, de matériel qu’il était, devient purement symbolique et moral. L’action de l’idée de droit est d’autant plus grande que l’action de la terreur religieuse est moindre. Ce contraste des idées juridiques et religieuses est le fond du concept de la liberté de conscience, qui s’est étendu graduellement du droit international au droit public et au droit pénal, et tend à pénétrer le droit domestique. Et c’est à juste titre qu’il est le problème capital du droit moderne.

L’idée de droit et la structure sociale. — La structure sociale est soumise à un rigoureux déterminisme ; ses variations dépendent d’une cause profonde, la guerre ; et de plus elle tend à s’immobiliser sous l’action de la loi qui fait chaque génération solidaire de celles qui l’ont précédée. Il semble donc qu’ici l’idée de droit n’ait aucun rôle à jouer ; et cependant l’histoire nous apprend qu’il y a un passage possible de l’état au contrat ; l’idée de droit peut intervenir dans cette transformation, mais non pas directement. L’élément fondamental de l’idée de droit est l’incrimination qui atteste la lutte des besoins égoïstes et des sentiments sociaux : lutte dont le terme est, dans le contrat, la subordination des premiers par une refonte totale de l’homme intérieur. C’est donc comme ressort intérieur que l’idée de droit peut agir ; et cela suppose qu’elle transforme le caractère individuel.

L’idée de droit et le caractère individuel. — Le passage de l’état au contrat est conscient, et se traduit par une adaptation graduelle, dont le motif ne peut être que l’idée de droit ; cette idée devient dans la société le fondement d’un jugement collectif, qui produit le sentiment de la honte, assez puissant en général pour contrebalancer les mobiles égoïstes. Ainsi le règne du droit est ébauché avant la disparition des mobiles esclavagistes, et le droit n’a même de sens que dans l’imperfection de la sociabilité. À part l’exception du caractère charitable, la société civilisée nous présente trois caractères de plus en plus parfaits : le caractère criminel, chez qui l’appétit grossier est plus fort que les sentiments sociaux élémentaires ; le caractère processif, qui, par crainte du déshonneur, se soumet au jugement collectif