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cherchait à fixer la date où a été trouvée la théorie physiologique des émotions. Est-ce en 1885 avec le livre du Danois Lange ? Est-ce en 1884 avec un article de W. James dans le Mind ? Si quelqu’un l’avait averti d’ouvrir le traité des passions de Descartes, il serait remonté tout de suite à 1649. Car la théorie toute neuve de W. James est littéralement la vieille théorie cartésienne. Presque en même temps nous lisions une étude où un philosophe suisse, M. Gourd, cherchait, après M. Renouvier, mais autrement que lui, à greffer sur le phénoménisme les croyances métaphysiques et morales d’origine substantialiste. Nous aurions voulu savoir ce qu’on en pensait dans les cercles philosophiques. Mais sans doute il n’y a pas de cercles philosophiques. Et nous avons constaté avec mélancolie que cette hardie tentative, exécutée, nous semblait-il, d’une manière très ingénieuse et très forte, restait sans écho, au moins sans écho sensible. Une personne fort autorisée à qui nous parlions de la possibilité de rapprocher et de mettre en communication plus directe les esprits qui cherchent librement la vérité, nous répondait par ce mot vrai, sans doute, en ce moment : « Les philosophes ne se lisent pas entre eux ». Mais pourquoi donc les philosophes ne se liraient-ils pas entre eux ? Les savants ne se réunissent-ils pas en sociétés académiques pour soumettre à un contrôle commun leurs découvertes personnelles ? Et les lettrés pour leurs poèmes et leurs romans ne sollicitent-ils pas ardemment le jugement de la critique ? Et encore, ne voit-on pas que la grande place que le théâtre, en dépit de la médiocrité de ses productions, a prise dans la littérature, dans la critique et jusque dans l’éducation de la jeunesse, est un effet de cette discussion bruyante qu’une foule d’écrivains, dont quelques-uns même ont du talent, soutiennent devant le public à propos du plus méchant vaudeville, à propos de chaque « première » théâtrale ? Certes nous ne désirons pas que la discussion donne ainsi une vie factice, une importance trompeuse aux travaux des philosophes. Mais nous souhaitons de tout notre cœur qu’elle les signale à l’attention du public, qu’elle l’aide à en estimer le prix ; qu’elle éprouve les idées nouvelles pour discerner celles qui méritent de durer, qu’elle guide et hâte le triage que le temps ferait tout seul peut-être, mais plus négligemment. Aussi bien, quelques pages après le passage que nous citions en commençant, Descartes écrivait : « Je supplie tous ceux qui auront quelques objections à me faire de prendre la peine de les envoyer à mon libraire, par lequel en étant averti, je tâcherai d’y joindre ma réponse en même temps, et par ce moyen les lecteurs, voyant ensemble l’un et l’autre, jugeront d’autant plus aisément de la vérité ». Et en effet, les objections aux Méditations et les réponses que Descartes y a faites ne sont pas parmi les moindres monuments que nous a laissés ce grand siècle, si créateur à la fois et si fécond en controverses.

Si ces idées ne paraissaient pas trop chimériques, nous supplierions, nous aussi, nos lecteurs d’« envoyer à notre libraire » leur sentiment, le plus fortement motivé possible, sur les publications philosophiques les plus marquantes, à mesure qu’elles paraîtront. Peut-être cette revue offrira-t-elle un terrain favorable à quelques débats approfondis. Est-ce une illusion née du désir ? Nous ne sommes, après tout, que des lecteurs attentifs. Eh bien,