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au monologue, dont il a pris et donné l’habitude. Mais il en est tout autrement quand les élèves ont été entraînés dès le début, dès le premier jour, quand on a posé tout de suite la causerie comme l’unique méthode. J’affirme par expérience que, même dans les mauvaises classes, le mutisme n’est pas à craindre. — Sans doute les esprits novices ne peuvent pas tout trouver par eux-mêmes : mais en philosophie, ce qu’ils ne peuvent pas trouver, c’est beaucoup plutôt les questions que les réponses. Présentons la question en termes très simples : on nous répondra toujours. C’est de la façon de poser la question que dépend en grande partie le succès de la méthode ; il faut savoir traduire en langage familier, ou même en langage enfantin, des idées abstraites et précises. C’est du reste un exercice salutaire, et il n’en faut pas plus pour qu’une classe rende sous la main. — On n’a pas idée de ce que peuvent découvrir les élèves pour peu qu’on les questionne simplement. L’histoire même de la philosophie peut souvent leur être enseignée de cette façon : il suffit de leur formuler le problème et de leur demander quelles sont les solutions que par leur seule raison ou même par leur bon sens ils jugent possibles : d’eux-mêmes ils découvrent les grandes doctrines ; et il n’y a plus alors qu’à mettre les grands noms dessus.

Ceux qui ne craignent pas le mutisme pourraient craindre l’excès opposé : trop de discussions, trop de bruit, le désordre, une classe par trop entraînée, une démagogie menaçante : ce serait vraiment trop de succès pour notre méthode. — Mais ce danger n’existe pas pour les professeurs dont l’autorité est réelle : ceux-là n’ont jamais rien à craindre : pour eux, la question ne se pose pas. — Quant aux autres, il serait imprudent de leur conseiller le dialogue : mais je ne vois pas trop quelle méthode il serait prudent de leur conseiller. — J’ai montré que celle-ci, par l’unisson qu’elle établit entre nous et les élèves, par les moyens qu’elle nous fournit d’agir sur eux, est la garantie la plus discrète et la plus sûre du bon ordre.

Un danger plus réel, c’est celui de vagabonder, de courir après toutes les idées que lève le hasard. La causerie, avec son imprévu et ses sinuosités, risque de nous égarer rapidement. La verve même et l’entrain deviennent ici périlleux. — Je reconnais qu’on se perdrait à coup sûr si on arrivait en classe sans avoir mûrement médité sur le sujet. Ce serait une erreur grossière de croire qu’on peut compter sur l’inspiration pour diriger le dialogue. Le plus habile y échouerait. Il ferait des trouvailles si séduisantes qu’il se laisserait entraîner. — Mais il y a un remède préventif : c’est de préparer la leçon mieux encore que si on devait la faire ; c’est d’arriver avec un plan absolument logique et net, et de s’y tenir avec fermeté. Il faut être constamment orienté : cela suffit. Dès qu’un élève dévie, on l’arrête et on le ramène. On remet d’un coup le cap sur le point où l’on veut aborder. On évite ainsi toute perte de temps et tout gaspillage de force. — La causerie n’en reste pas moins libre : le sujet seul est imposé : on laisse aux élèves beaucoup de jeu dans les détails : mais on a soin de les mener vers un but choisi d’avance.

Ce qui est peut-être plus difficile, c’est de causer véritablement, de ne pas faire une leçon déguisée, de tenir réellement compte des réponses de