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L’adversaire va-t-il se déclarer vaincu ? Pas encore. Quelle est, ne manquera-t-il pas d’objecter, cette conception étrange de Zénon qui, dans le parallélisme de la durée et de l’étendue qui entrent dans le phénomène du mouvement, fait correspondre à un élément indivisible de la durée, à un instant, une étendue finie, celle que remplit la flèche dans une position ? Aux instants de la durée doivent correspondre les points de l’espace.

Soit, riposte Zénon. Vous voulez que nous acceptions le parallélisme absolu d’une file de points et d’une suite d’instants. Cela entraîne naturellement que si un mobile parcourt une certaine étendue, c’est-à-dire une certaine suite de points, le nombre d’instants qui s’écoulera dépendra uniquement du nombre de points qu’il aura parcourus. Imaginez donc différents mobiles passant dans des circonstances diverses devant le même nombre de points, ils y mettront tous le même temps. Ou bien, inversement, faites défiler des mobiles devant diverses suites de points : s’ils marchent pendant le même temps, nous devrons affirmer que les nombres de points parcourus sont les mêmes. Eh bien, il suffit, pour ruiner cette conception, de citer l’exemple de deux mouvements, où, pendant la même durée, des nombres inégaux de points sont certainement franchis, et l’exemple que choisit Zénon est le fameux argument du stade :

Soient trois files de points A, B, C, parallèles. A restant fixe, imaginons que B et C se déplacent en sens inverse avec la même vitesse, devant A. Il est clair que, durant le même temps, il passe deux fois plus de points de C en face d’un point de B, qu’il n’en passe en face d’un point de A[1].


    comme nous que le raisonnement de Zénon oppose au mouvement, comme fait contradictoire, la composition des choses à l’aide d’indivisibles. Seulement nous croyons que celui des deux termes que Zénon veut contester, ce n’est pas le mouvement. — À propos du premier sophisme, celui de la dichotomie, Aristote éprouve le besoin, pour le réfuter complètement, de démontrer l’impossibilité des indivisibles dans le temps ou dans l’espace. Il finit victorieusement le chapitre I du livre VI (Phys.) où il vient de discuter le raisonnement de l’Éléate, en insistant sur la propriété de tout continu, ligne, surface, durée, d’être indéfiniment divisible. On ne saurait mieux exprimer là encore que l’antinomie qui se dégage du sophisme de Zénon est bien celle du mouvement et de la conception des choses comme sommes d’indivisibles. Comment Aristote ne s’est-il pas demandé si cette dernière conception, à laquelle il a si bien vu que Zénon oppose le fait du mouvement, n’est pas au fond celle de la pluralité, contre laquelle nous savons pertinemment que se sont élevés les Éléates ?

  1. Cette façon d’interpréter le quatrième argument, qui nous semble bien être celle de M. Tannery, est un des points les plus originaux de son travail sur Zénon. Zeller a bien dit, lui aussi, que le vice du raisonnement est en ce que la durée d’un mouvement est supposée dépendre seulement de la grandeur du