Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les adeptes de Pythagore ne laissèrent pas sans protestation se produire tout près d’eux, en Italie, une vue si opposée à la conception pythagoricienne des choses étendues. Ils défendirent violemment les idées du maître sur la composition discontinue des choses à l’aide d’un nombre déterminé de parties distinctes, et, s’il faut en croire un passage du Parménide de Platon, ils accablèrent Parménide de railleries. C’est Zénon qui se chargea de répondre.

Vous dites que toute chose est un nombre de parties : eh bien, imaginons un mobile ayant à parcourir un chemin AB. Il devra parcourir d’abord la moitié du chemin, puis la moitié de la moitié qui reste, et ainsi de suite indéfiniment : il n’atteindra jamais l’extrémité de AB, ce qui est absurde, car à ce compte aucun chemin ne serait jamais franchi. Conclusion : nos hypothèses impliquent une absurdité. — Mais quelles sont nos hypothèses ? — Quand, de la dichotomie que nous pouvons pousser aussi loin qu’il nous plaît, nous inférons l’impossibilité de franchir AB, nous supposons évidemment qu’il faudrait, pour franchir AB, atteindre un dernier élément de cette suite ; nous supposons que l’étendue n’est pas seulement décomposable en parties dont le nombre peut toujours croître, mais qu’elle est effectivement décomposée en ces parties dont la dernière existe, tout en étant hors d’atteinte. Nous supposons en un mot, vous le voyez, que cette étendue est, d’une façon absolue, un nombre de parties. Vous reconnaissez là, sous la forme de la loi du nombre de M. Renouvier, celle de Pythagore.

M. Renouvier et M. Evellin ont repris pour leur compte l’argument de Zénon, et ont tenté d’en déduire une preuve de la discontinuité de la matière. Leur interprétation de l’argument peut se résumer ainsi : Le nombre des parties en lesquelles le chemin AB est divisible est fini ou infini, or ce nombre ne saurait être infini, sans quoi l’inépuisable se trouverait épuisé, donc il est fini ; et la conclusion naturelle serait alors la composition pythagoricienne des choses étendues : ce serait la thèse diamétralement opposée à celle de Parménide. Nous sommes-nous donc trompés dans cette interprétation ? Mais remarquez bien, au contraire, que ce raisonnement peut servir à rendre plus claires nos propres idées. Le point de départ d’un raisonnement qui commence ainsi « le nombre des parties est fini ou infini » implique l’affirmation pure et simple qu’il y a un nombre de parties, que le chemin dont il s’agit est non seulement divisible, mais divisé, qu’il est une somme d’éléments : c’est